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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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2 septembre 2015

Injustice

C’est une entrée particulière et je le comprends aux visages des soignants pendant les transmissions.

En parlant d’elle, les sourires se figent, les voix sont plus sourdes, le débit plus lent. Elle a vingt et un ans…. Vingt et un ans, et l’air d’en avoir quinze.

Le médecin raconte son histoire, la coordinatrice parle de la famille. Une mère, un père, une sœur, tous soudés comme les doigts de la main, autour de cette jeune femme.

-  elle s’appelle C.; je l’appellerai par son prénom, elle a l’âge de ma fille, je ne me vois pas dire madame.

 Dans le silence qui suit, une autre ose :

- et si on ne peut pas ? je ne pourrai pas l’appeler par son prénom.

Je sens la tension, la difficulté pour chacun de trouver la juste distance. Chacun fera ce qui lui ressemble.

En passant devant la chambre, je peux voir la famille penchée au dessus du lit, dans une douleur commune. Sur le banc, la grand-mère pleure en silence. Je m’assois à coté d’elle, sans rien dire. C’est elle qui parlera. Les mots sortent, lentement, pour raconter la descente en enfer qu’ils vivent depuis un an. Elle m’exprime sa douleur de se savoir encore là,  de voir sa fille souffrir et sa petite fille mourir. Sa souffrance à elle lui semble bien peu de chose à côté. Elle me parle de sa petite fille, si faible, et qui vient de supplier sa mère de l’aider, en s’accrochant à ses mains dans une contraction de tout son corps. Avec une force et  une énergie qui ont tellement impressionné la grand-mère qu’elle a du sortir de la chambre.

Sa fille vient la rejoindre. Elle me tendre une main qui recule ; tout son corps recule, comme un signal de protection ; ne m’approchez pas, je ne tiens que par un fil. En miette à l’intérieur je m’effondre au premier souffle. Son visage est jeune, marqué, fatigué, mais elle prend le temps de me raconter leur histoire, l’annonce de l’échec des traitements, de la fin imminente, l’indélicatesse, leur sentiment d’abandon puis l’arrivée ici.

Maintenant, Les soignants proposent de poser une sonde à sa fille, geste qu’elle refuse obstinément depuis une semaine. Mais sa mère sent bien qu’elle n’y échappera pas si elle veut calmer la douleur. Encore une perte d’autonomie pour sa fille, et elle sait qu’elle devra tenter de l’y convaincre. Comme si elle se mettait du coté des soignants contre la volonté de sa fille.

Que dire face à une telle souffrance ? Je me sens gauche, sans mots, sans souffle, il me semble qu’ils ont envie de se retrouver, de retourner dans la chambre entre eux, près d'elle ; je propose un thé qu’elles acceptent. Avec mon plateau et mes tasses, je me sens déjà un peu moins nue. La porte est ouverte, et la sœur ainée est assise à coté du lit. Sur son territoire, la mère me paraît plus détendue ; elle m’accueille avec un sourire et me présente à sa fille. Je fais connaissance avec ce visage si jeune, si lisse, si tendre que ça me tord les entrailles ; C. me tend  faiblement une  main brulante que je saisis, et à laquelle je m’accroche comme à une bouée. Je reste un peu au milieu d’eux, autour de ce lit. La sœur négocie le privilège de dormir ce soir dans la chambre, la mère revendique le premier soir… ils sont tellement vivants, tellement dans l’instant à partager, et si conscients qu’il n’y en aura plus beaucoup… Les mots sont posés, le ton chaleureux et enveloppant ; les gestes sont doux, les doigts se croisent autour de la main de C., comme un ballet de tendresse, de compassion, à l’unisson de leur souffrance.

Je les quitte, bousculée, émue, je sens une colère qui monte face à une telle injustice. C. a l’âge de ma fille. Sa mère le mien. J’ai besoin de marcher seule dans le jardin.

Commentaires
P
Et maintenant, après le jardin, comment allez-vous? Je m’inquiète...
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K
Magnifique partage d'émotions fortes ! Merci !
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D
"ne m’approchez pas, je ne tiens que par un fil. En miette à l’intérieur je m’effondre au premier souffle."<br /> <br /> C'est tellement ça !
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G
J'ai connu cela en 1970 ma sœur sous la tente à oxygène partait doucement, elle était cardiaque de naissance et elle m'a dit quelque chose avant de mourir mais elle était si faible que je n'ai pas compris ce qu'elle chuchotait, elle avait 28 ans et elle me manque terriblement
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O
Bouleversant. Le sentiment d'impuissance est exaspérant. On aimerait pouvoir faire quelque chose pour guérir ou soulager, je ne sais pas, moi, aller couper du bois, faire des marathons, donner de l'argent, pour apaiser la colère et l'injustice ressentie. Vous, au moins, vous faites quelque chose qui sert à quelque chose, bravo !
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