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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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6 juin 2022

C'est mon dernier jour

En entrant dans la chambre de monsieur T j’ai un petit moment d’hésitation. Il a des traits du visage tellement fin que j’aurais pu le prendre pour une femme. Des cheveux longs gris et ondulés, un corps fragile, une peau fine et presque transparente, un regard qui dégage une grande douceur. Heureusement sa voix valide mon « bonjour monsieur ».

- C'est mon dernier jour !

Devant cette affirmation, je ne sais que répondre et j’ai besoin d’un peu de temps.

Je me rapproche de lui, demande la permission de m’asseoir avant de reprendre :

- Votre dernier jour ?

- Il faut que je rentre chez moi.

Nous restons quelques instants avec cette phrase en suspens entre nous. 

 Il me regarde fixement, tire les fils qui le relient à sa perfusion et lui qui semblait si calme à mon entrée commence à s’agiter. Je pose doucement ma main pour la sienne pour faire cesser le mouvement. Il lâche les fils et se détend un peu. Sa main est aussi douce que glacée.

 - j’ai froid, surtout dans le dos ; j'ai tellement froid !

Je regarde autour de moi et lui propose de rajouter une couverture. Elle me semble bien lourde pour ce corps si fragile. Je la remonte jusqu’au menton, recouvre ses bras glacés, espérant calmer un peu les tremblements qui l’agitent.

- Et j'ai mal ; je m’inquiète, mes enfants ne savent pas où je suis. Ils ne peuvent pas savoir, j'ai perdu mon téléphone !  Je ne peux pas les joindre.

Je ne connais pas l’histoire de cet homme, il est arrivé il y a plusieurs jours, seul, mais peut-être les soignants sont-ils en contacte avec sa famille. Je lui propose de me renseigner, mais il ne semble pas être intéressé.

- Il faut que je rentre chez moi il n'y a que chez moi que je pourrais les joindre.

L’agitation de monsieur T. s’est amplifiée et ma présence ne semble pas aidante. Au cours des minutes qui suivent, son visage se tend, exprime une souffrance qui me fait appuyer inconsciemment sur la sonnette pour appeler les soignants. C’est un geste que je fais rarement, et jamais sans l’accord du malade, mais je me sens tellement impuissante face à lui que ce geste est venu tout seul, j’ai l’impression d’avoir appelé pour moi.

Une infirmière arrive, souriante et s’approche de monsieur T. Elle lui parle doucement, lui caresse le front, prend sa main, son pouls, le regarde l’air préoccupé.
- je vais chercher le médecin ; ça fait longtemps que vous êtes agité comme ça ?

Monsieur T. ne répond pas, garde les yeux fermés et le visage crispé.

- Vous étiez si bien ce matin ! on a plaisanté pendant les soins, vous vous souvenez ?

L’infirmière semble étonnée de le voir ainsi. Elle me demande de rester auprès de lui en attendant.
L’attente est longue et inconfortable pour chacun. Monsieur T a lâché ma main, il semble se concentrer sur ce qu’il vit et qui m’échappe.

Il suffira d’un geste et d’un regard au médecin pour comprendre que la situation se dégrade très rapidement.

- Je vais vous prescrire un calmant, et nous avons appelé vos enfants ; ils vont arriver. Et en attendant Véronique va rester avec vous. Ça vous va ?

Il bouge légèrement la tête en un mouvement que nous interprétons comme un acquiescement sans en être vraiment certains tant il semble ailleurs.

A nouveau seule avec cet homme si fragile, j’ai du mal à me détendre. Il y a eu une tension d’urgence au passage des soignants, peu habituelle dans mes accompagnements. Le temps semble s'être accéléré, là ou généralement il coule doucement.

En posant ma main sur mon épaule je tente de le rassurer, lui dis que ses enfants sont en route. Sa respiration s’accélère, je n’ai qu’une peur, qu’il lâche prise avant l’arrivée de ses enfants.

A l’arrivée de l’infirmière, venue pour poser un traitement, je laisse ma place, sans avoir réussi à me départir de cette peur.

La semaine suivante j’apprendrai que monsieur T. est mort avant l’arrivée de ses enfants, avec une rapidité imprévisible pour les équipes qui le suivaient depuis son arrivée.

Parfois la mort surgit sans prévenir, et bouscule chacun, famille, soignants, accompagnants. Il m’a même semblait ce jour-là qu’elle n’avait pas prévenu monsieur T. tant son état s'est agravé rapidement sous mes yeux. Et pourtant… il me l’avait bien dit… c’est mon dernier jour.

 

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Commentaires
S
Très émouvante journée dont on ne sort pas indemne.... Merci pour cette chronique qui me fait à chaque fois bouger intérieurement.
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M
😢💖
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