Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Accompagner écouter soulager… et vivre!
Accompagner écouter soulager… et vivre!
  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Archives
Visiteurs
Depuis la création 77 336
Derniers commentaires
Newsletter
254 abonnés
23 octobre 2023

La paix !

Cette semaine le service dans lequel je suis est plein, et très chargé. Des patients compliqués, lourds en soin ou seulement complexes en personnalité, des familles très demandeuses d’informations et assez méfiantes. Les soignants sont fréquemment sollicités et leurs réponses mises en causes. -  dites au médecin que je veux le voir – ils sont tous fatigués. Lors de la réunion de transmission les soignants me demandent d’aller voir monsieur T.

- il est en colère cet homme, et on n'y arrive pas. On ne fait que le strict minimum, et même ça il trouve que c’est trop. Je n’ai pas l’impression qu’il soit douloureux mais il souffre c’est certain.
L’assistante sociale a tenté de le rencontrer pour réfléchir au temps d’après, tenter de retrouver son jeune frère de soixante-trois ans. Mais monsieur T n’a pas voulu en entendre parler ; Le médecin lui a proposé le passage de la psychologue mais il s’est fermé immédiatement – je ne suis pas fou, et je n’ai pas envie de parler.
L’infirmière m’incite quand même à pousser sa porte.

- Je me dis qu'il a peut-être envie de parler ; mais je te préviens si c'est comme nous, tu risques de te faire sortir.

Ce ne sera pas la première fois, se faire sortir fait partie de notre quotidien. Je n’hésite pas longtemps, finalement quel est le risque ?

La chambre est dans la pénombre, mais je vois les yeux de monsieur T. grand ouverts.

Je frappe et rentre en montrant un pas assuré et une voix heureuse de le rencontrer ; il me regarde d'un œil noir ;

- Vous êtes qui ?

Je répète ma présentation déjà faite en entant.

-  A oui, bénévole… ça pullule ici. Vous voulez quoi ?

- Rien je viens vous rencontrer.

- Et alors ?

- Et alors si vous avez envie de présence et de discuter je reste, si vous voulez rester tranquille je sors.

- C’est morne comme proposition.

C’est vrai que vu de son côté ma proposition ne doit pas faire rêver…

- De quoi auriez- vous envie ?

- La paix . La paix , la paix, la paix.

Il a presque crié.


- Alors je vais vous laisser tranquille.
Je regarde autour de moi, remarque un plateau avec une tasse de café presque vide sur sa table et propose de le débarrasser. Au moins je ne serai pas venue tout à fait pour rien.

- Si vous avez fini votre café je peux rapporter votre plateau. Vous aurez plus de place.

- le jus de chaussette vous voulez dire !

Il repousse le plateau vers moi d'un geste décidé et se rallonge dans son lit. Il relève la tête et me regarde d’un air mauvais :


- De la place pour quoi faire ?

- Poser votre téléphone, faire vos mots fléchés …  

- C’est ça, c’est ça…

En m'approchant pour le débarrasser de son café et de ma présence je rajoute :

-  Je vous souhaite que la journée de demain soit moins grise qu'aujourd'hui.

Ma phrase le surprend. Il regarde par la fenêtre où le soleil se couche lentement ; les couleurs sont douces et il a fait un temps radieux toute la journée ;

- vous appelez ça une journée grise ? vous n’avez pas regardé dehors ?

- Je ne parlais pas du temps.

- Et de quoi alors ?

- de votre humeur.

Les mots sont sortis tous seuls, je les regrette déjà mais je me rends compte que son agressivité m’a atteinte malgré moi.

- Si vous croyez…

Il ne finit pas sa phrase. Ma remarque l’a visiblement décontenancé. Mon plateau à la main, je recule lentement, je l’imagine assez facilement m’envoyer un verre d’eau à la figure. Il en a la force et la détermination… mais au lieu de ça, je vois un léger sourire se dessiner sur son visage. Une esquisse...
Monsieur T me regarde et me tend la main ; c'est presque un doux au revoir. Peut-être un début de relation. Je ne pousse pas plus loin, un sourire c’était déjà inespéré à mon entrée.
- Au revoir monsieur

- C’est quoi déjà votre nom ? Ha oui vous me l’avez déjà dit.

Je referme la porte, je me demande ce que sera notre prochaine rencontre. S’il y en a une.

 

Commentaires
S
C'est vrai qu'on peut tous avoir des journées grises... Mais j'espère qu'il a fini par avoir un arc en ciel dans ses derniers jours...
Répondre