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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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16 février 2016

Mal du pays

Madame V. est philippine. Une quarantaine d'années et un corps d'enfant. Elle est assise dans son lit, les mains accrochées au pied de sa perfusion, comme à une bouée de sauvetage. Les soignants sont désarmés. Elle affiche une grande souffrance mais n'arrive pas à la localiser et aucun médicament ne marche. A la demande des soignants, je lui propose un peu de présence. Madame V. hoche la tête, et me montre la chaise installée tout près de son lit. J’ai à peine le temps de m’asseoir, qu’elle abandonne le pied de sa perfusion pour s'accrocher à mes mains et ne plus les lâcher.

Les mots sont difficiles; elle a besoin de se raconter mais chaque phrase est une souffrance. Elle a quitté les Philippines et ses parents à dix-huit ans pour rejoindre une de ses tantes et travailler dans une famille. Elle a découvert une belle et grande maison dans un quartier très chic, tellement grande qu’elle aurait pu y loger toute sa famille, ses grands-parents et tous ses cousins.

- même ma chambre était grande; j’avais de la chance par rapport à d’autres.

Elle semble se calmer un peu ; elle cherche un peu moins ses mots et son rythme ralentit. Je peux enfin me caler plus confortablement sur ma chaise.

- Je m’occupais des enfants; je les accompagnais à l'école, je rentrais pour ranger la maison, faire le ménage, les courses; et vers quatre heures, j'allais les chercher, et quand ils étaient petits on allait au jardin…

Cette évocation semble lui plaire. Son étreinte autour de mes mains est moins forte.

- Quand on rentrait, je leur donnais leur bain, leur repas, et les parents arrivaient quand ils étaient au lit. Certains soirs il y avait un diner que je devais  servir. J'aimais bien ça. Ils étaient gentils avec moi, leurs amis aussi. Et puis je parlais anglais avec leurs enfants; ils étaient très contents de voir leurs progrès. Ces enfants, je les aimais comme si c'était les miens. Le week-end je retrouvais ma tante. J’avais besoin de parler du pays ; tout est tellement différent ici.
Elle a un accent et une voix faible qui m’obligent à rester concentrée sur chaque mot.

- Je suis restée vingt-deux ans dans cette famille.  Quand je suis arrivée l'ainée avait trois ans. Il y en a eu deux après. Maintenant ils sont tous partis, et la plus grande est enceinte.

Elle parle sans s'arrêter, et sa voix se teinte à nouveau d’une urgence. Je réalise qu'elle a passé plus de temps dans cette famille que dans la sienne.

- Moi je n'ai rien, personne… Et ma famille est loin. Je ne les ai pas vus depuis quatre ans...Ma mère sait à peine que je suis malade; je devais rentrer chez moi mais le médecin vient de me dire que c'est trop tard. Je suis trop malade et j'ai tellement mal...

Son regard me transperce comme si elle voulait me faire éprouver son mal.

- Ici je n'ai pas de famille, je suis tellement seule. Ma tante est rentrée aux philippines il y a deux ans... J’ai peur..

Mes mains sont engourdies tellement elle les serre et je me sens totalement démunie face à sa solitude.

Je ne sais pas quoi dire. Je garde le silence et la laisse me broyer les mains.

Elle bouge sans arrêt ses jambes sous le drap, les remonte et s'assoit puis les rallonge frénétiquement; elle a l'air tellement mal.

Son visage grimace, je ne sais pas si c'est de peur ou de mal.

- Je voudrais voir mes parents; je ne vais pas les revoir vous comprenez.

Elle a l'air d'avoir douze ans.

La porte s'ouvre et un homme très grand d'une soixantaine d'années entre avec un sourire, un sachet de chouquettes, et une promesse d'air frais qui me fait du bien.

A son entrée la jeune femme me lâche les mains. Son menton tremble.

- C’est mon patron. Ils viennent toutes les semaines; les enfants aussi; mais ils n'ont pas beaucoup de temps.

L’homme se présente.

- Vicky a habité chez nous et s'est occupée de nos enfants pendant vingt ans; c'est grâce à elle si ils vont si bien. Elle fait partie de la famille..

Et s'adressant à la malade:

- Cécile va arriver.

En refermant la porte derrière eux, j'espère que la présence de cette famille aidera madame V. et lui permettra un au-revoir de substitution.

Commentaires
M
Je trouve également dur-dur ce que vit la malade, malgré la présence régulière de la famille où elle a servi, et dure l'impuissance de l'accompagnatrice devant le manque.<br /> <br /> merci de nous confronter à ces réalités. (nous apprivoiser ? )
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K
Il restera quand même le goût du manque et de l'absence, de la solitude malgré la présence...Dur, dur, dur...
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K
Il restera quand même le goût du manque et de l'absence, de la solitude malgré la présence...Dur, dur, dur...
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