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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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6 décembre 2015

Trouver la clé

Monsieur F m’est présenté comme un homme très confus ayant besoin de présence. En entrant dans sa chambre et en tentant d'établir un début de relation avec lui, je remarque d'abord un regard très ailleurs, en constant mouvement, comme une agitation interieure qu'il ne peut maitriser. Je me présente, et lui précise la raison de ma venue... son agitation se change en interrogation, il me regarde avec application, comme un examen de passage - j'attends - puis pose un dictatorial :

 - asseyez-vous!

suivi d'un :

- vous êtes qui ?

Je m'assois et reprends ma présentation;

- je fais partie de l'équipe des bénévoles, je viens vous proposer un peu de compagnie si vous le souhaitez... 


Je ne suis pas sure qu'il le souhaite, ni même qu'il ne le souhaite pas. Il me dévisage encore -peut être cherche t-il une ressemblance- et me questionne :

 - vous êtes là pourquoi? 


Je reprends tout en ayant conscience que mes explications et ma présentation rodées n'ont aucun sens pour cet homme; les mots de bénévole, d'équipe, de présence ou de compagnie ne semblent pas évoquer quoi que ce soit de connu. Je lui propose alors de le laisser tranquille -peut-être êtes-vous fatigué- consciente que c'est avant tout à moi que j'offre une porte de sortie de cette chambre où je sens que la rencontre ne se fait pas.

Monsieur F. pour la première fois semble comprendre ce que je dis; non il n'est pas fatigué, il a dormi toute la matinée. 


Cette phrase cohérente est le début d'une conversation étrange mais touchante. 
J'ai face à moi un homme charmant au vocabulaire recherché et au discours très obscur. Les phrases se suivent sans aucun sens ni lien entre elles, qui n'attendent aucune réponse, il me manque les codes, j'aimerais trouver la clé pour pouvoir entrer dans son univers. Je ne sais pas de quoi ou qui il parle, je ne sais pas si il est dans le présent, le futur ou le passé, mais qu'importe, il a visiblement envie de parler et c'est pour ça que je suis là.

Après un silence, il me regarde plus attentivement, et me congédie gentiment pour pouvoir dormir. 


Quelques heures plus tard, alors que je m’apprête à retourner dans la salle des bénévoles, je m’aperçois que j’ai perdu ma clé. Je refais à l’envers le chemin de l’après-midi, de couloir en couloir, de chambre en chambre. Je finis par celle de ce monsieur qui est maintenant et train de dormir. Je n'aime pas entrer dans les chambres comme une voleuse, mais il a l'air tellement serein que je choisis de me faire silencieuse. Pour ne pas le réveiller, je rentre doucement regarde attentivement par terre, cherche ma clé sur le fauteuil, dessous, sous le lit … sans succès. Je rebrousse chemin tout doucement, monsieur F. a toujours les yeux fermés et le visage détendu. Mais au moment où je referme la porte, une voix claire m'interpelle

- vous cherchez vos clés ?

Devant mon air étonné il ajoute :

- vous les avez faites tomber sur le fauteuil, et quand les infirmières sont venues, je leur ai demandé de les ranger dans mon tiroir pour que vous les retrouviez. Je savais bien que vous alliez revenir.

Il a un sourire accroché aux lèvres et un air joyeux. Comme un enfant heureux de sa blague.  

Je reviens sur mes pas, et effectivement, je trouve mes clés bien rangées dans sa table de nuit. Décidemment j’ai encore beaucoup à apprendre des personnes dont je ne comprends pas tout. En sortant c’est moi qui ai une impression de confusion….

 

Commentaires
D
Une fois de plus, ce récit me touche. Bien sûr par son écriture. Mais aussi par son analyse profonde de la personne rencontrée, la richesse de l'échange. Et surtout par toute l'humanité qu'Il s'en dégage. Et puis, toutes les questions que votre vécu m'amène à me poser sur la fin de vie.
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K
Excellent !
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N
Comme quoi, les mots ne sont pas toujours les seules clés à notre disposition pour faire sourire. Merci pour tous ces témoignages.
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K
:)
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G
mon père était très sourd, ayant travaillé dans la métallurgie et à l'époque il n'y avait pas de casque sur les oreilles lorsque l'on soudait ou tapait sur la ferraille, mais cela m'a toujours paru bizarre il entendait toujours ce que l'on disait autour de lui ce que nous voulions lui cacher, aussi on riait en lui disant "papa on croyait que tu n'entendais pas", il ne parlait pas beaucoup sauf quand il le fallait, on l'aimait
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