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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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28 septembre 2020

Retraite à plein temps

Elle vient de prendre sa retraite. C'est une femme aux cheveux en pétard, jaune paille, jean slim et veste de cuir, tatouage coloré sur l’avant-bras. Elle a un look d'enfer, et parait bien trop jeune pour la retraite. Je la rencontre sur un banc, face à la chambre de son fils ; c’est le temps de l'orthophoniste pour une séance de rééducation, elle en profite pour faire une pause tranquillement. En quelques mots elle me parle de leur situation. Son fils est malade depuis quinze ans, et madame n. n'arrête pas une seconde.

- Avant, quand je travaillais, j’avais une organisation qui me permettait une prise en charge de mon fils ; mais depuis que je suis à la retraite, je suis au front H 24.

 Je vois qu'elle est épuisée ; Elle me parle de son quotidien, de l'association qui passe et lui envoie des aides-soignants pour s'occuper de son fis. En une semaine il y en a huit différents.

- Comment voulez-vous qu'ils s 'attachent à lui ? il n'y a pas d'affection, c'est sec comme relation et moi ça me fait de la peine de voir ça. Il ne peut plus parler, ses mouvements sont désordonnés, je ne peux me fier qu'a son clignement de l'œil… et encore ! C'est dur de conserver la relation. Alors s’ils ne prennent pas le temps d’apprendre à le connaître, ils ne peuvent pas comprendre ce qu’il veut leur dire. Je sais que ce n’est pas eux qui décident, mais quand même…

Cette femme est en grande souffrance et en épuisement total. Depuis que son fils est ici - mais pour combien de temps ? j'ai peur qu'ils me le rendent avant de me reposer vraiment -  elle essaie d'écluser le retard accumulé. Papiers, administratif, organisation... tout est en berne depuis des mois... il faut qu'elle arrive à tout finir avant qu'il ne revienne.

Un peu survoltée, elle ne cesse de parler. Derrière elle, la porte de la chambre de son fils s’est ouverte, laissant passer l’orthophoniste ; Il est maintenant seul. Sa mère le sait certainement, mais elle a besoin de parler. Elle n'a peut-être pas la force de retourner dans cette chambre. Je suis un peu mal à l'aise, j'ai envie d'écouter cette femme qui a tant besoin de parler, mais aussi d'aller rencontrer son fils que je n'ai fait que croiser et qui est seul.

Madame N. embraye sur la politique, les syndicats, les ouvriers... , elle entre dans une discussion du dehors, de celles qu'elle ne doit plus avoir le temps de commencer... Et elle se lance avec passion. J'essaye de m'ajuster à ce qu'elle souhaite. De la chambre de son fils s'échappent des sons, pas vraiment des cris, ce que j'imagine être son mode d'expression mais qui résonnent en moi comme un appel. J'ai envie de le rejoindre et de passer du temps avec lui ; rester avec madame N me demande une concentration certaine, mais l’énergie et l’enthousiasme qu’elle déploie m’obligent à une présence et une écoute active. Au bout d'une heure, elle est enfin prête à rentrer dans la chambre. Détendue. Elle enveloppe son fils de ses bras.

Je la regarde faire, elle a repris sa place de mère tout en douceur, si loin de la passionaria aux cheveux en pétard s’enflammant telle une syndicaliste !

 

Commentaires
C
Ah, encore un texte qui nous permet d'aller au delà de l'apparence, d'entrer dans la complexité des vies...et là, il n'y a plus de jugement.<br /> <br /> Merci pour ces mots, ces situations, ces tranches de vie offertes.
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