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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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13 mai 2022

Questionnements

Cet homme est dans le service depuis plus de quatre mois. Souriant, accueillant, il a l'habitude d'avoir une chambre pleine. Des soignants, de la famille, des bénévoles se relaient sans cesse à sa demande. Cet homme n’a probablement pas l’habitude d’être seul, et son séjour chez nous s’inscrit dans la prolongation de ce qu’il a toujours dû vivre : des relations humaines. Et il faut reconnaître que sa chambre est un lieu où nous avons plaisir à entrer.

A ma première visite, je suis étonnée de son ton joyeux, son teint frais et son air vif.  Un homme qui aime la vie et en profite chaque jour.  Je comprends qu'il ne peut plus marcher. Mais pour le reste... il est tordant, ne résiste jamais à un bon mot... 


Au bout de quelques semaines, sa situation a évolué et il commence à avoir des temps de confusion, cherche ses mots, perd la tête. Médicaments ? maladie ? il se découvre sans cesse, ne sait plus où il est, tient des propos incohérents et nous sommes souvent sollicités pour apporter une présence apaisante, l'empêcher de sortir de son lit ou de tirer sur les fils divers qui le relient. Je tente d’entendre sa confusion. Il me parle beaucoup mais je ne comprends pas grand chose. Peu importe, il a gardé son sourire et son besoin de relation.

Quelques nouvelles semaines passent et à la surprise de chacun, le cerveau de Monsieur D. est à nouveau parfaitement opérationnel. Il a repris ses jeux de mots, joue avec son petit fils, plaisante avec chacun, accueille sa femme en me parlant de sa beauté. Une nouvelle énergie circule dans la chambre et un projet de transfert dans le sud auprès de sa fille est mis en place. Chacun a à cœur de le faire réussir. L’assistante sociale, les soignants, la famille, chacun à sa mesure met tout en œuvre pour que cela soit possible. Monsieur D. le premier reprend de l’appétit - il faut que j’aie des forces pour voyager- l’assistante sociale cherche des établissements pouvant l’accueillir, son épouse lui parle de soleil, d’apéros, prévoit des visites avec sa fille pour choisir « le meilleur endroit ». Un mois passe. L'été arrive, le projet a du mal à se mettre en place. Son épouse, partie visiter des lieux dans le sud, met du temps à rentrer. A l’unité, le temps se traine. Monsieur D. est ambivalent – je suis tellement bien ici, je connais tout le monde, je ne souffre pas, mais c'est vrai que le soleil... – puis il lâche et la tristesse s’installe sur son visage. L'assistante sociale essaie de savoir ce qu’il souhaite. Plus personne ne sait s’il veut vraiment partir. Dès que le sujet est abordé, il se ferme. Il pleure pendant les soins…

De mon côté, je rentre de deux semaines d’absence et reprends mon bénévolat à ses côtés.

- Bonjour Véronique ; Vous êtes rentrée de vacances ?

Monsieur D. prend ma main et me reconnait. Il faut dire que depuis des mois je connais toute sa famille et certains de ses secrets. Mais j’avoue avoir du mal à le reconnaître, tant son physique a changé, son visage est creusé, son regard s’est éteint, je suis déstabilisée. Monsieur D. m’aide en commençant sur un mode léger, me demande des nouvelles de mes vacances et du temps, de la vie dehors, me parle un peu de lui, - je vais pas mal - de sa femme qui visite des établissements... Je reste sur le sujet :

- Je vous pensais déjà dans le sud !

Monsieur D. ferme les yeux, serre fort ma main qu'il n'a pas lâchée, se tait. Derrière ses yeux se dessinent des larmes qui perlent sur le côté.

Je n’ai pas choisi le bon sujet. Je le lui dis et m'en excuse.

Il serre à nouveau ma main et c’est comme si sa tristesse venait s’instiller dans mes veines. 

Lors de la réunion de transmission j’ai entendu les difficultés des soignants. Depuis le départ de sa femme, son état s'est dégradé de façon alarmante ; sans sa famille, c’est un peu comme si l’énergie vitale qu’elle lui insufflait s’était évaporée. Les soignants craignent qu’il ait trop attendu ce transfert, « il est en train de lâcher, il ne s’accroche plus ».

De tout cela je ne parlerai pas. Je l'ai entendu en réunion, cela ne m’appartient pas. S’il veut en parler je serai là pour écouter. Mais je comprends qu'il ne l'abordera pas. Je vois qu'il est ému et je le suis moi-même. Je garde sa main, réponds à sa pression et nous restons en silence.

Monsieur D. ne partira jamais passer quelques semaines dans le sud. Au retour de sa femme quelques jours plus tard, il n’en sera plus question.

Commentaires
D
Probablement beaucoup de non-dits dans cette famille, car 6 mois en soins palliatifs,c'est tout à fait inhabituel.
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