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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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12 novembre 2024

Au funé

Sa femme vient d'arriver ce matin, il l’a accompagnée, a rencontré longuement le médecin,  est resté avec sa femme pendant le déjeuner, et maintenant son épouse dort, épuisée par le transport, le déménagement, et toutes ces nouvelles têtes qu’elle va devoir apprendre à connaître.

Monsieur T. est assis sur un banc, les yeux dans le vague. Il accroche mon regard et me fait signe d’avancer.

- Vous faites partie des bénévoles dont on m’a parlé c’est bien ça ?

Je me présente et lui propose d’aller prendre un café au coin famille pendant la sieste de son épouse ;
- elle a l’air bien ici, enfin nous verrons, au début c’est toujours bien.  

Il me fait parler de la maison, du nombre de chambres, du nombre d'étages, des noms des services.. mais je vois bien qu'il n'écoute pas. Ses yeux regardent partout, chaque personne qui passe, les soignants, les visiteurs. Il dresse une oreille pour tenter de saisir les propos de la famille d’à-côté, remue son café sans le boire…

Je me tais.

Mon silence semble le ramener à moi.

Il reprend

- il faut que je visite le funérarium.
J’avoue que c’est la première fois que l’on me fait cette demande à l’entrée. C'est abrupt.

- Vous êtes sûr? Ce n'est pas une demande courante.  Peut être pouvons nous d’abord faire un tour de la maison.

- Oui, je suis sûr. Pour le tour de la maison je pourrai le faire n'importe quand et tout seul. Il faut que je m'organise et que je sache comment on fait, et où elle va; enfin où elle ira après. Vous savez où c’est ?

- Oui

- Alors accompagnez-moi !

Je comprends que ce n’est pas une option.
Ensemble nous descendons les escaliers, et je me prends à rêver d’une chambre mortuaire qui serait au dernier étage, ce serait tellement plus lumineux.

L'escalier me parait bien long, et les étages bien bas. Inconsciemment je ralenti le pas. 

Monsieur T. est à mes côtés, il regarde tout, lit les plaques sur les différentes portes que nous croisons avec application, « parking », « sortie de secours », « salons de présentation»

La porte à pousser est lourde. Nous entrons dans ce lieu,  où il fait froid malgré les dessins, les fleurs et l’éclairage chaleureux. Je tente de savoir si un des agents funéraires est là, pour pouvoir répondre aux éventuelles questions mais je ne vois rien ni personne. Monsieur T.  marque un temps d'arrêt. Comme au coin famille, ses yeux regardent tout, il touche le dossier d’un fauteuil, jette un œil à un cahier mais ne l’ouvre pas, se rapproche d’une fontaine à eau mais ne se sert pas. Il apprivoise le lieu, se projette peut-être. Il n’y a pas de famille en ce moment, je peux le laisser faire connaissance avec le lieu puisque cela lui importe.

Le temps passe, monsieur T. jusqu’à présent silencieux semble se rappeler ma présence. – C’est ici que ma femme sera alors. Je pourrai aller la voir quand elle sera morte ?

Je lui montre les salons de présentation. Il se dirige vers les portes, s’arrête puis recule. Jusqu’à la sortie.
- Je crois que nous pouvons remontrer maintenant.

Nous laissons l’espace des morts pour remonter dans les services vers les vivants. Il ne parle pas, souhaite un nouveau café. Assis au coin famille, il me regarde.

- Merci de m’avoir accompagné. J’ai besoin de ça, de voir les lieux de mettre des images pour me préparer ; finalement ce n’était pas morbide en bas, pas du tout. Je pense que j’appréhenderai moins lorsqu’il faudra aller la voir.
Il me sourit - premier sourire depuis notre rencontre – boit son café sans plus se soucier des familles autour de nous.
- Et maintenant je vais aller apprivoiser sa chambre, mais là, c’est plus facile ! Mon épouse veut que je lui rapporte des photos, les soignants lui ont dit qu’on pouvait les coller sur le mur, nous allons devoir en choisir. Nous en avons tellement !
Et c’est un homme heureux de ce petit projet qui s’éloigne de moi pour retourner dans la chambre.

 

Commentaires
D
A l'EHPAD aussi, le reposoir, salle saint Joseph, était au sous-sol.<br /> Mais oui, quelle évidence , au dernier étage, près du ciel, serait une plus belle image !<br /> Même si le corps, lui, est rendu à la Terre...
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S
Mais oui un funérarium au dernier étage, quelle belle idée !! On a envie de lumière... Merci de l'avoir accompagné dans ce sous sol
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