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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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12 août 2024

Sanatorium

Monsieur T. ne parle que de demain ; de la vie, du foot, de ses mots croisés. Assez isolé il est heureux du passage des bénévoles. Nous échangeons depuis de longues minutes, une rencontre légère, une discussion qui fait passer le temps. A aucun moment il n’évoque sa maladie ni les raisons qui l’ont amené ici.

Au milieu d’un commentaire sur le journal télévisé – qui accompagne notre échange -  il sort son portable et ouvre des applications.
- Attendez, il faut que je vous montre quelque chose.
Je m’approche de lui, pensant voir une photo en rapport avec son commentaire, et regarde l’image qu’il affiche. Une photo de son pied et d’une escarre digne des dictionnaires médicaux de mon enfance. Je sens son regard posé sur moi, peut être à la recherche d'une réaction de dégout. Je tente de ne rien montrer et lui exprime ma compassion.

Il fait défiler les images, du plus ancien au plus récent, - ça me permet de suivre l’évolution-  A chaque fois qu’ils viennent changer le pansement, je prends une photo. Impressionnant non ?

- impressionnant

C’est le mot…

- Ha mais je n’ai pas mal du tout vous savez !

J'ai du mal à le croire en voyant les dégâts, mais cette phrase me conforte un peu. J’ai quand même hâte que le défilé de photos se finisse.

Il repose son téléphone, l’air satisfait et regarde vers la porte de sa chambre.

- J’aime bien laisser ouvert et voir les gens passer ; c’est plus gai.

De  nombreuses personnes sont regroupées un peu plus loin.

- A les voir tous comme ça, passer et repasser, c’est qu’il doit y avoir un mort.

Je ne réponds rien; la malade de la chambre d'a coté est effectivement morte ce matin. Sa famille est nombreuse et occupe tout l'espace.

- vous savez, je suis là depuis un mois et à la chambre d’à côté, il y a déjà eu plusieurs malades qui sont passés, et ils ne sont pas repartis sur leurs deux pieds, vous pouvez me croire. Il y en a même un que j’ai vu partir sur un lit. Raide comme la justice. Maintenant je suis trop fatigué pour sortir de la chambre, même en fauteuil mais il y a encore quinze jours j’étais souvent au coin café.

 

Un jeune homme passe devant sa chambre, jette un œil vers nous ; ses yeux sont rougis.

- Lui il ne trompe pas, on voit bien qu’il a perdu quelqu’un

Monsieur T. est factuel, observateur.

- Ils attendent; je crois qu'il y a un  sanatorium à côté d’ici. En bas peut-être.

- Un sanatorium ?

- Non, pas un sanatorium, mais je ne trouve plus le mot !  Comment on dit déjà? Là où on met les morts.

- Un funérarium ?

- Ha oui c'est ça,  là où on fait bruler les corps. Il paraît qu’il  faut attendre trois heures pour bruler complètement un corps, vous le saviez ? Trois heures c’est très long quand on y pense. Surtout pour ceux qui attendent parce que pour celui qui brule faut espérer que le temps ne compte plus.

Je ne sais pas vraiment si il fait de l’humour noir ou s’il réfléchit tout haut.

- Alors vous voulez dire un crématorium?

- Voilà c'est ça; un crématorium. Tous ces gens qui sont là  doivent attendre que le corps ait fini de bruler

- Je pense qu’il n'y a pas de crématorium ici.

- Peut-être pas ici mais un peu plus loin. Ils attendent, ça se voit. Ils repartiront quand ils auront l’urne. 

Il ouvre le tiroir de sa table de nuit.

- A propos, il faut que je vous montre ma cigarette électronique. J'ai acheté ça depuis que je suis arrivé ici. C'est très bien, regardez!

Je ne suis pas sure d’avoir saisi le « à propos » mais pas mécontente de le voir changer de sujet, je le regarde me faire une démonstration.

Il ouvre la boite, me démonte sa cigarette et me décrit chaque partie. Vante l’efficacité du produit, le goût, la fumée…

- Je n’essaye pas, dans la chambre en principe je n’ai pas le droit, mais je vous assure que c’est très agréable.

Il est toujours aussi factuel et descriptif , quelque soit le sujet. C'est assez déroutant !
Nous sommes bien loin du sanatorium, du funérarium ou du crématorium. Bien loin du corps mort, des photos de ses escarres. Bien loin de la mort elle-même.

Je me demande souvent quel chemin prennent les pensés pour faire de telles associations.  

Commentaires
S
Quelle vitalité dans ses conversations qui semblent décousues... sauf pour crematorium / cigarette électronique
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D
A l'ehpad le reposoir.s'appelle la salle Saint Joseph.
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M
J'aime toujours autant vos petites chroniques qui se font rares.... merci de nous rappeler que... nous irons tous au paradis 🎶
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