Sans mots
Madame B. peut parler, et le fait d'ailleurs à mon entrée. Elle me désigne la chaise sur laquelle je m'assied, m'accueille d'un « bonjour madame » clair et joyeux, me regarde et prend ma main. Elle ferme les yeux, signe pour moi que les mots ne sont pas nécessaires pour le moment. Elle pose ma main sur son drap et caresse doucement le dessus de ma main, glisse ses doigts sous mon bracelet, prend son temps. Comme une exploration, elle me visite à sa façon ; en douceur nous faisons connaissance. Pendant plusieurs longues minutes nous resterons ainsi, sans parler, simplement dans un langage des mains, légères, confiantes. Puis madame B. ouvre doucement les yeux et me dit :
" il me semble que nous sommes dit bien des choses ainsi"
Je ne peux qu'acquiescer. Sans un mot, nous nous sommes dit bien des choses de ce qui peut circuler entre deux personnes, de ce réconfort que peut être de sentir un être présent auprès d'un autre, de cette communauté d'humanité que nous formons dans cette chambre, malgré nos différences, notre part d'inconnu. Nous n'avons pas besoin de mots pour savoir que l'une a besoin de l'autre et que le réconfort et le partage sont de part et d'autre. Par ce geste enveloppant, elle me donne accès à sa sensibilité, et rejoint la mienne.
Je regarde cette vieille dame qui s'assoupit. Ses doigts ne bougent plus, nous avons déjà fait connaissance, elle garde seulement ma main dans la sienne comme celle d'une vieille amie, et je profite de sa quiétude pour me ressourcer à son contact. Sa confiance, son silence et la douceur de sa main me font du bien. A l'entrée des soignants, elle ouvre un œil, retrouve sa voix claire et joyeuse, me remercie d'être venue et rajoute "je t'aime".
Il est clair que ce "je t'aime" s'adressait à la personne qui occupait son rêve, mais je le prends quand même...