Elle sait.
« Tu devrais aller voir madame N. Elle s'ennuie beaucoup ici et voudrait faire un tour au jardin. On l'a installée dans un fauteuil, tu peux y aller »
Une petite mission, proposée par un soignant, c’est toujours appréciable.
La chambre est dans la pénombre et une jolie et frêle dame est confortablement assise, face à la fenêtre, un plaid sur les genoux.
J'entre avec ma proposition de sortie, mais elle n'a pas du tout envie d'aller se promener.
- Je suis trop fatiguée, je n'ai pas envie de me lever;
Je lui précise pourtant que ma proposition portait sur un tour en fauteuil, dans lequel elle est déjà installée mais cela ne l'inspire pas ;
- Plus tard peut être.
Elle ne semble pas non plus avoir envie de compagnie – je me repose-, je la quitte donc un peu à regret, cette promenade me tentait bien… Encore une fois je touche du doigt l’ici et maintenant de notre bénévolat. Avec les soignants elle souhaitait aller au jardin, quelques minutes plus tard, l’envie était partie, le projet aussi.
Le « plus tard » sera l'heure du diner et les soignants me proposent de lui tenir compagnie. L’occasion pour moi de reprendre une rencontre qui n’a pu se faire.
Et c’est une chance, cette femme est charmante. Confuse et charmante!
Elle m'accueille pour une petite visite qui durera des heures; Je l'aide à diner, son plateau est rempli, d'assiettes qui me paraissent très pleines pour son petit gabarit, et comme elle oublie qu'elle est en train de diner, je dois sans cesse la ramener vers son assiette. Madame N. a surtout envie de parler;
- Regardez, mon muguet, c'est mon fils qui me l'a apporté. Il est beau non? C'est pour souhaiter une année de bonheur; une année... quand on est ici c'est insensé non.
Je laisse le silence s’installer un peu, madame N regarde son assiette et choisit des carottes.
Quelques minutes plus tard une infirmière entre lui apporter ses médicaments ;
- Ha voilà les médicaments. J'en ai gouté de pires ; et surtout avec tellement d’effets secondaires. Terribles ! Mais ma chance c'est qu'ils m'ont guérie. ça a été dur mais maintenant c'est fini je suis guérie.
Elle me regarde en souriant, une étincelle dans les yeux. Je ne suis pas sûre qu’elle y croie vraiment. L’infirmière nous salut et repart.
Madame N. la suit du regard, lui demande de laisser la porte ouverte et reprend :
- Nous sommes ou ici? C'est bien une maison de repos ?
J’esquive un peu
- C’est une maison médicale ; et j’espère que vous pouvez vous y reposer.
- Ha oui, pour le repos c'est formidable.
Entre deux minuscules bouchées madame N. jette un regard dans le couloir
- Vous la connaissez la dame qui vient de passer ? Elle est curieuse; Elle fait comme si elle ne savait pas; je crois qu'elle sait mais soit elle n'a pas envie de répondre aux questions, soit elle ne veut pas dire qu'elle sait ; mais c’est clair, elle sait.
J’essaie de comprendre :
- Cette dame que je ne connais pas, vous pensez qu’elle sait quoi?
- Elle sait c’est tout.
Je lui sourit. Elle me le rend. Nous savons toutes les deux. Mais il n'est pas toujours besoin de nommer les choses.