Mon temps du désert
Aujourd’hui je n’ai rien à faire. Les malades dorment, les familles sont dans les chambres, le service est calme. J’ai poussé deux portes sans succès, je n’étais pas attendue ni souhaitée. Je suis assise sur le banc, position qui m’est tellement inconfortable. Etre là sans rien faire alors que je voudrais tant apporter une présence à celui qui en manque, à celui qui attend. Mais aujourd’hui, ni manque, ni attente. Sur mon banc je reste à l’écoute. Du silence, des pas dans le couloir, des phrases échangées dont je perçois les bribes, des paroles de soignants, des rires d’enfants, une conversation téléphonique. Je suis là, juste là. J’ai longtemps cherché le sens de cette présence. Et puis ça m’est apparu d’un coup. Comme une évidence. Ce banc, c’est mon temps du désert. Un temps pour réfléchir à ce bénévolat si particulier. Un temps pour relire les précédentes rencontres. Un temps pour me souvenir de certains visages, de certaines paroles échangées. Dans le silence qui s’installe au fond de moi, je sens une certitude s’installer. La conviction d’être à ma place dans cet endroit depuis presque cinq ans. Je revois le chemin parcouru depuis mon premier jour, tout ce que j’ai appris sur la maladie, la fragilité, sur la rencontre de l’autre, et surtout sur moi. Je n’ai pas besoin de «faire», juste envie d’être, ici et maintenant, disponible à celui qui viendra et dont j’ignore encore le visage. Je regarde cet homme passer ; il ne me voit pas. Il se dirige vers une chambre. La démarche est lourde, le dos vouté, il porte le poids de sa peine. Tout doucement il entrouvre une porte et une voix étonnamment joyeuse l’accueille. Il est arrivé, il est attendu. Le calme s’installe à nouveau. Je regarde les plantes, les chaises d’enfants, la fontaine à eau, tous ces petits riens mis à la disposition de tous pour aider les malades, ceux qui viennent les voir, leurs familles, leurs amis, et parfois même les soignants à vivre des derniers moments si douloureux, dans un cadre accueillant. Sur une table, des journaux à feuilleter. Pour passer le temps, se vider la tête, oublier une seconde que l'être aimé est là, juste à côté, oublier les mots du médecin que l'on vient de voir... Pour avoir des nouvelles de dehors, loin de la maladie. Ces journaux ne sont pas pour moi; ici je n'ai pas envie de lire; Je veux être disponible, sans écran entre l’autre et moi. Etre un veilleur. Une femme se dirige vers le banc d’en face. Elle s’assoit lentement, pose son sac, essuie ses lunettes, puis croise mon regard. J’y lis un appel.
Mon temps du désert est terminé. Il m’a ressourcée.