C'était son projet
Madame Z a consacré toute sa vie à la peinture, « mon meilleur mode d’expression » me dit-elle à notre première rencontre. Elle vient d'Europe de l'Est, et a choisi la France comme patrie d’adoption. « C’était le pays des libertés ».
Il y a quelques mois madame Z. avait programmé une exposition, une sorte de rétrospective de son oeuvre, mais la maladie l'a prise de court. Maintenant elle est ici, ses toiles chez elle, et comprend bien qu'elle ne pourra pas faire cette exposition.
Madame Z. a une fille. Une quarantaine d'années, active voire débordée, elle tente de réaménager son emploi du temps pour cette étape imprévue et soudaine dans la vie de sa mère. C'est difficile mais elle y arrive petit à petit. Elle commence à comprendre que sa mère va rester là, qu'elle ne se remettra pas, et que ce séjour, prévu pour un traitement de la douleur se transforme doucement en accompagnement de fin de vie. Et cette nouvelle étape lui donne curieusement l'envie de faire des projets. Pour sa mère.
Cette exposition qui était prévue... elle va l’organiser.
- Bien sur ce ne sera pas dans une galerie; c’est dommage, elle avait mis tellement de temps à trouver l’endroit... Mais tout était presque prêt, le catalogue en cours de fabrication... il suffit de changer le lieu et les dates. Vous ne croyez pas ?
J’avoue mon manque d’expérience dans ce domaine ; mais ce projet me paraît irréalisable. La fille de madame Z. est enthousiaste à cette idée. Et sa mère, qui ne se lève presque plus aussi. Depuis, tous les après-midis, elle se libère pour venir parler avec elle de l'organisation. Qui inviter? Que prévoir? Quelles oeuvres choisir? Comment les exposer. Elles sont toutes les deux fébriles. Elles ont obtenu l’autorisation de l’hôpital, et chacun à sa façon porte sa pierre au projet. Des espaces se libèrent, des idées d'aménagement fusent, tout le monde échange sur le sujet. Une exposition? Ici? mais comment?
Et puis les semaines ont passé. La mère artiste ne quitte plus son lit. Sa fille continue à venir tous les jours, et lui raconte comment et où ça va se passer, ceux qui ont répondu, ceux qui vont venir... Sa mère écoute mais ne parle plus. Tout le monde a prévu de faire Madame Z. belle et chic pour le jour J, et de déplacer son lit dans l’espace prévu pour l’exposition. La fébrilité a gagné les couloirs, teintée d'un sentiment d'urgence qui ne se dit pas.
Le vernissage a eu lieu hier. En présence de la fille de l'artiste. Dans les couloirs de l'hôpital où Madame Z., précaire, n'a pas pu sortir de sa chambre.
Sa fille, assise sur un banc devant la chambre de sa mère m’accueille avec un sourire triste.
- j'ai eu le temps de lui raconter comment ça s'était passé. Et je sais qu'elle m'a entendue. Je lui ai lu des témoignages sur le livre d'or, j'espère qu'elle a compris. C'était bien vous savez, les gens ont beaucoup aimé. Et moi je suis contente d'avoir fait ça pour elle; C'était son projet d'exposer ses oeuvres.
Autour de nous, des tableaux sont exposés au mur, des paravents, et même des chaises. Rétrospective complète de ses créations. Certaines portent des pastilles rouges - elles ont trouvé acquéreur parmi les invités, mais aussi les soignants et quelques visiteurs.
La fille de madame Z. tient sur ses genoux un livre d'or, chargé de mots d'amis ou d'inconnus qui passent ou sont passés.
De l'autre coté de la porte, loin de cette explosion de couleurs, madame Z. a rendu son dernier souffle ce matin, près de ses oeuvres exposées.