Hommage
C'est une charmante vieille dame, allongée droite comme un I sur son lit, la tête posée sur une taie d'oreiller à fleur. Elle me tend une main bleutée aux veines saillantes, et nous commençons une conversation de salon, sur le lieu, le temps, les soignants... Elle est drole et vive, et dotée d'un esprit d'observation hors du commun. Notre échange ne lui sert pas à s'évader. Ni à confier des pans de sa vie, ni même à réfléchir sur la vie après ou l'approche de la mort. Cette femme n'en a pas besoin aujourd'hui. Elle vit ici et maintenant, forte de ses longues années de vie que j'ai tendance à imaginer douces tant cette dame est sereine, posée et sans amertume. Autour d'elle, toute sa chambre me parle ; l'odeur, un mélange de muguet et de poudre, la longue veste gris clair accrochée au porte manteau, la boite de chocolat, et les fruits frais sur sa table, le flacon de parfum à son chevet. Un cadre à photo avec l'image d'un homme debout, une femme assise devant, le regard tourné vers lui. Un cliché d'une autre époque. Une photo de ses parents ? d'elle et son mari ? je n'arrive pas à trouver de ressemblance mais la photo est belle. Le cadre de vie qu'elle a reconstitué ici parle de douceur et d'attention, de délicatesse et d'amour. Face à elle, je l'écoute raconter son quotidien depuis son arrivée, et au delà de son quotidien, celui des personnes qui l'entourent. En quelques minutes, elle a su trouver un qualificatif pour chaque soignant, tellement juste que je sais précisemment de qui elle parle. Je reconnais le médecin, le kiné, les équipes soignantes. Elle me raconte qui ils sont - du moins ce qu'elle en perçoit - et comment ils sont avec elle. Tous ses mots ne sont que reconnaissance et humilité. Elle voit son corps comme une vieille machine fatiguée "qu'il ne doit pas être agréable de laver, ni même de panser". Elle m'avoue sa maladresse et les nombreuses tasses de thé renversées sur ses draps, et s'émerveille ne ne jamais avoir senti de lassitude chez ceux qui s'occupent d'elle.
- Je crois qu'on ne se rend pas compte de ce que ça demande comme patience et comme abnégation pour les soignants qui travaillent ici. J'aurais aimé être comme eux, avoir toujours le sourire en entrant, ne jamais montrer d'exaspération. C'est rare vous savez. On devrait chaque jour leur rendre hommage.
Elle a raison, mais en la regardant, si douce si gentille, si fragile, je n'imagine pas qu'elle puisse exaspérer quelqu'un.
Une aide soignante entre et l'appelle par son prénom. Elle me précise :
- Je ne le fais jamais mais Bernadette ne voulait pas qu'on l'appelle madame.
- C'est vrai ! elles s'occupent de moi depuis plus de trois semaines et elle me connaissent mieux que beaucoup de mes proches ! Elles savent tout de moi, de mon état, elles font ma toilette, me massent, m'habille .... Alors m'appeler madame, c'est tellement étrange ! Je préfère mon prénom !
- Bernadette, je viens vous embrasser parce que c'est mon dernier jour ici ; je finis mon stage ce soir.
- Déja ? Quel dommage ! mais il a duré combien de temps votre stage?
- Six semaines. C'est très court, et en même temps, ici j'ai tellement appris... et beaucoup grace à vous Bernadette !
Chacune profite de ma présence pour me dire tout le bien qu'il pense de l'autre. Elle est très douce - elle est tellement gentille - on aura bien ri ensemble - si vous saviez ce qu'elle est légère! même les soins les plus délicats étaient faciles avec elle.
Je les regarde se parler et se regarder. et ce qui circule entre cette toute jeune stagiaire et cette vieille dame me touche. C'est bien plus qu'une relation de soignant à malade ; à moins que ce ne soit précisemment cette relation qui soit au coeur du métier. Tendresse et professionnalisme, attention réciproque, une forme d'affection, sans attachement excessif. En écoutant cette stagiaire, je comprends que Bernadette lui aura fait découvrir la profondeur du mot soigner.