Cup of tea…
Elle a le charme désuet de l'aristocratie anglaise. Je ne la connais pas, et la rencontre alors qu'elle déménage sa chambre.
- Je suis trop loin des soignants, j'ai peur qu'ils ne m'entendent pas.
Elle est arrivée il y a deux jours et a déjà un bon nombre de valises et de cartons à transporter. Nous allons d'une chambre à l'autre, elle accrochée à son pied à perfusion, drapée dans une ravissante robe de chambre rose pale, moi chargée de paquets en tout genre. Au deuxième trajet, elle montre un signe de fatigue et s'allonge sur son lit. Je la sens soucieuse. Essoufflée, elle demande aux soignants de l'oxygène; ainsi branchée, elle ne peut plus bouger.
A ses côtés, je lui propose d'être ses bras. une à une je range ses affaires dans le placard; cache coeur en cachemire, déshabillé en soie, dessous raffinés, chaque vêtement en dit long sur celle qui le porte et je me sens presque indiscrète en les touchant. Pendant ce temps, madame B. range consciencieusement ses flacons d'huiles essentielles sur sa table de nuit. Elle me décrit chaque parfum et son utilisation, et à leur seule évocation, ses joues reprennent quelques couleurs.
- Et si nous prenions une petite tasse de thé?
Elle me montre une grande boite ronde comme une boite à chapeaux d'où je sors deux tasses en porcelaine anglaise Wedgwood d'une finesse inquiétante, une théière assortie, un sucrier et deux assiettes à gâteaux. Dans le tiroir de sa table de nuit elle sort délicatement quatre boites de thé pour pouvoir choisir... et me montrant la salle de bain, me désigne sa bouilloire qu'elle me demande avec beaucoup d'excuses de bien vouloir brancher.
Elle ouvre chaque boîte de thé et en respire le parfum les yeux fermés. En silence. Au bout de quelques instants elle se décide :
-il me semble que celui-ci irait bien avec le moment.
Nous optons donc pour son choix, et je verse l'eau "frémissante bien sûr" dans sa théière. Tout le rituel y est. Elle relève le dossier de son lit de manière à être assise presque face à moi; entre nous la table sur laquelle un couvert est dressé. Le thé infuse, elle pose une petite cuillère dans chaque soucoupe... j'ai l'impression d'être hors du temps.
- ha j'oubliais... vous voulez bien prendre la boite qui est sur la chaise?
Je regarde derrière moi, et trouve une boite à gâteaux avec une tarte au citron.
- c'est ma belle soeur qui me l'a apportée.
Alors que je tente de décliner sa proposition, elle me regarde l'air très sérieux et presque autoritaire:
-vous n'allez pas me regarder manger!
Non bien sur, je ne vais pas la regarder. Je coupe deux parts de tarte, et nous prenons le thé ensemble, comme deux vieilles amies dans un manoir anglais.
Le raffinement et la délicatesse de cette femme sont touchants. Ses gestes sont lents et gracieux, elle savoure chaque gorgée, goûte de tout petits morceaux de tarte et je me sens presque intimidée devant elle. Elle n'a pas besoin de mots; quelques regards, quelques sourires, elle a l'air bien. Elle n'a plus besoin d'oxygène.
A l'arrivée d'une infirmière elle me demande de rajouter une tasse; et lorsque l'infirmière décline faute de temps, madame B. manifeste une réelle déception
- Vous êtes sure? Quel dommage.
Et après son départ elle ajoute:
-je ne sais pas comment elle fait. Moi je ne peux pas vivre sans une tasse de thé.