Ho!... Hé oh!
Je vous ai rencontré, jeune homme, et vous m’avez touchée.
Vous étiez trop jeune, muré dans votre maladie qui vous empêchait de formuler des phrases. Pourtant vous compreniez.
Votre sourire était lumineux, votre regard pétillant, mais votre seul vocabulaire était « Hé oh ! », « ouais », « allez ! » et « oh hé » selon ce que vous vouliez dire. Et vous vous énerviez, à ne pas trouver les mots justes, à ne pas pouvoir en dire plus.
Nous sommes restés ensemble, avec ces quatre mots, à lire l’Equipe, à déambuler dans le couloir, à faire et refaire sans cesse votre trousse de toilette. Vous vouliez partir «allez !» et vous preniez votre sac, rouliez votre fauteuil vers la sortie, puis me suiviez «ouais » avec un air complice quand je vous proposais de retourner dans votre chambre. Vous souriiez lorsque je vous faisais remarquer que vous vous apprêtiez à entrer chez quelqu’un d’autre « oh ! », parfois, vous riiez, toujours à bon escient, puis votre regard s’éloignait, laissant passer devant vos yeux un voile de tristesse. « Où sont passés mes mots » sembliez-vous me dire, « pourquoi je n’y arrive pas ?» disait votre regard... vous m’avez partagé, par ce regard, dans le silence, tant de choses. J’espère avoir su trouver les mots qui vous manquaient, pour vous dire combien je percevais votre souffrance. Vous m’avez permis de vous accompagner quelque temps et de me heurter sans cesse à votre difficulté de ne pouvoir dire, de ne pouvoir marcher, de ne pouvoir utiliser votre bras droit. Vous m’avez fait partager votre quotidien d’un instant, dans cette recherche permanente de relation, et cette souffrance terrible de ne pas pouvoir dire; Et pourtant… Vos intonations suffisaient à vous faire comprendre. Votre regard et votre sourire faisaient le reste. Lorsque je vous ai quitté, vous m’avez embrassée, et avez dit « ouais » comme un au revoir. Mais dès que je suis sortie de votre chambre, vos « oh hé ! », « Hé oh » prononcés de plus en plus fort m’ont fait revenir. Deux fois, trois fois, je vous ai quitté et je suis revenue, incapable de mettre fin à cette rencontre. Pour vous ce n’était pas le moment ; nous avons partagé encore quelques minutes, puis vous vous êtes appuyé sur le dossier de votre fauteuil. Vous avez fermé les yeux, et de votre main valide vous m’avez dit au revoir. C’était l’heure pour vous. J’ai pu vous dire merci pour cet après-midi ensemble, pour vos regards et votre humour, et je suis sortie de la chambre doucement. Je vous ai laissé derrière moi, apaisé pour quelques instants.
Vous m’avez touché, jeune homme, par votre besoin de communiquer, par votre désir de créer le lien, par vos efforts pour compenser les mots. Vous m’avez montré une fois encore que la relation peut se passer des mots. Mais vous m’avez aussi fait toucher du doigt la souffrance qui vous habitait au quotidien. Après vous avoir accompagné, jeune homme, j’ai eu besoin de solitude, et pendant quelque temps encore, vos « hé oh » résonnaient à mes oreilles.