Ha Christine…!
Je rencontre Monsieur F. pour la première fois. Il est assis dans son lit, vêtu d'un pyjama sans un pli, des lunettes sur le nez. Il m’accueille très chaleureusement et commence un échange courtois. La discussion est fluide, les mots viennent tout seuls sur des sujets divers. Je pourrais me croire dans un diner en ville.
Au bout de quelques temps son regard change. En une seconde je deviens sa nièce Christine. Une nièce qu'il a perdue de vue depuis plusieurs années, et qui semble avoir mené une vie un peu dissolue. Abandonnant mari et enfant pour partir avec un très beau sénégalais qu'elle avait croisé. Il me raconte la tristesse de sa soeur, leur inquiétude, puis la gestion du quotidien... Et son propre rôle….
- Après tout ce que j’avais fait pour toi….
Il commence même à me faire la morale, mais avec un air un peu amusé et une certaine indulgence. le temps a passé et maintenant je suis revenue....
Face à lui je suis déstabilisée. Je lui précise que je ne suis pas sa nièce et tente de faire un pas vers lui... Peut-être avons-nous un air de ressemblance? La couleur de cheveux? la voix?
Mais il n'en démord pas; il reste persuadé que je suis Christine, et me raconte en souriant ma jeunesse, mes vacances chez lui avec les cousins...
Je l'écoute et découvre avec amusement ma vie pour le moins agitée; après une hésitation, je renonce à entrer dans cette confusion et lui rappelle mon prénom, mais lui précise que je peux m'appeler Christine le temps d'une visite.
Ma remarque le fait sourire. Il me regarde avec bienveillance :
"Ha Christine ! tu nous en auras fait voir"!
Notre échange est interrompu par les soignants... Je lis dans ses yeux un éclair de frayeur. Retour à la vraie vie. Il s’agite, inquiet:
- Vous vous rendez compte ! je viens de prendre madame pour ma nièce... C'est effrayant! Mais qu'est ce qu'il m'est arrivé? Je ne comprends pas. C’est à cause de tout ce que vous me donnez
Il se tourne vers moi l’air désolé :
- Je suis confus madame, je vous présente toutes mes excuses... mon Dieu, tout ce que je vous ai dit!... c'est affreux!
Je le rassure. Sa nièce avait l'air d'être une forte personnalité... j'étais contente d'en connaitre la vie pas banale. Et puis, être pris pour quelqu'un de la famille c'est toujours agréable!
Nous nous quittons, moi bénévole valide, lui malade un peu confus. Dans tous le sens du terme.
En sortant de la chambre, je suis contente de ne pas l'avoir suivi dans sa confusion, de ne pas avoir fait "comme si". Le retour au réel aurait été encore plus inconfortable.