Elle ne fait plus semblant
Il est au chevet de sa femme depuis déjà de longues semaines. Avec sa famille, ils ont petit-à-petit investi le coin famille ; sa femme marche en poussant sa perfusion, sa fille vient avec leur petit fils de deux ans, gai, drôle, plein de vie ; il court partout, pousse sa poussette, fait la sieste, lové contre sa grand-mère malade… On dirait une famille ordinaire prenant un café tranquillement en racontant les nouvelles de la journée.
Depuis qu’ils sont là, ils ont sympathisé avec la famille de la chambre d’à-côté, partageant des gâteaux et des moments de découragement, échangeant des bonnes adresses, des sourires, et des regards de lassitude, de doute, devisant sur leurs petits-enfants respectifs, leurs bons mots, et l’évolution de la maladie de leur proche…. Plusieurs semaines pour ces deux familles dans une proximité du quotidien, face à la maladie.
Puis le malade de la chambre d’a coté est décédé, et ils ont dû se dire au revoir. Des au-revoirs difficiles pour la famille du défunt, mais aussi pour cette famille qui reste, et dont le décès rappelle à chacun le chemin à parcourir. Je les croise régulièrement, de poignées de mains en sourires, sans avoir réellement établi une relation.
Aujourd’hui monsieur M. est sur le banc en attendant la fin des soins. Sa femme va moins bien depuis cette semaine. Il a l’air infiniment triste et las. En m’approchant de lui, je devine déjà que notre rencontre sera différente des autres;
Il m’accueille avec son sourire lumineux malgré la gravité de son regard, m’invite à m’asseoir près de lui et me partage sa difficulté : Elle ne fait plus semblant.
« C’est tellement plus difficile de l’accompagner maintenant ; avant je pouvais faire des petites blagues, lui parler du jour où elle rentrerait à la maison. On parlait des vacances avec notre petit fils, des prochaines fêtes… Je ne pense pas qu’elle me croyait, mais elle faisait comme si. Mais depuis quelques jours, elle ne veut plus jouer. Elle me dit « tu sais bien que je ne rentrerai plus jamais ». Elle est plus grave, et je ne sais pas quoi lui dire ;
Je n’arrive pas à l’aider ; Je ne veux pas qu’elle parte, je ne suis pas prêt et elle est résignée. C’est le monde à l’envers, c’est elle qui me prépare à son départ. Je devrais être fort, savoir l’aider mais c’est elle qui m’aide. Je me sens tellement impuissant, inutile.»
Savoir qui accompagne l’autre… accepter de se laisser accompagner. Se reconnaître fragile et vulnérable… Peut-être est-ce offrir à l’autre l’initiative de l’accompagnement, une dernière maitrise de la relation dans cet ultime temps du lâcher-prise.