Laissez-la!
La malade qui est dans cette chambre n'en finit pas de s'affaiblir. Tout doucement, jour après jour, son souffle s'amenuise. Pendant la réunion, le médecin a parlé d'elle et de sa famille, nombreuse, qui ne la quitte pas. Pour tous, madame H. aurait dû nous quitter depuis bien longtemps. Elle n'est plus consciente depuis plusieurs jours, n'a plus de traitement à part les antalgiques, semble simplement endormie. Une infirmière raconte les soins du matin, la toilette pendant laquelle il lui semblait parler à une absente. Aucune réaction, pas de mouvement; les yeux toujours fermés.
- j'ai eu du mal ce matin. Je ne l'entendais presque pas respirer; c'était étrange.
Le médecin aussi est passé. Il a constaté des signes de départ bien visibles sur son corps. Lui aussi semble face à une difficulté. Comment être sûr de bien la prendre en charge... Il a avancé une hypothèse à la famille; peut-être a t'elle du mal à les quitter. Parfois il faut que la famille s'éloigne un peu pour que le malade accepte de lâcher; il leur a proposé d'aller un peu dans le jardin, ou prendre un café; de sortir de la chambre un peu, sans trop s'éloigner...
Après discussion, les antalgiques sont maintenus- en cas de doute- et le médecin me demande de rester un peu près d'elle.
- ça rassurera la famille de ne pas la savoir seule; c'est difficile tout ce temps pour eux.
Dans le couloir, je croise une dizaine de personnes qui s'éloigne de la chambre et entre prendre le relais.
Madame H. est telle qu'elle ma été décrite; les mains sur les draps, les yeux fermés, elle n'a pas de réaction à mes paroles ou à mes gestes. Son visage est lisse et apaisé; il est facile d'être près d'elle. Je choisis d'installer ma chaise un peu loin du lit, pour ne pas la déranger sur ce chemin qu'elle parcourt et l'écoute en silence.
Sa chambre me raconte la présence de tous, des fleurs, des livres, beaucoup de vêtements, manteaux et sacs divers; sur le mur, des dessins d'enfants, des photos de familles, aux visages joyeux et souriants. Au fond un lit est replié, confirmant une présence nuit et jour. Je regarde cette femme et me dis qu'elle a de la chance d'être si bien entourée; je comprends que ce soit difficile de quitter tant d'amour. Face à elle je me sens bien, un peu comme si toute la chambre était enveloppante et m'offrait à moi aussi un peu de cette tendresse. Je crois que je vais y rester longtemps... ou plutôt j'ai cru...
La porte s'ouvre et un homme un peu agité entre précipitamment;
- Mais qu'est ce que vous faites?
Son ton est agressif, je me sens presque prise en faute... Je me présente, troublée tant par le volume sonore que par sa question.
- Ha. Bonjour. Non mais là maintenant il faut que vous sortiez.
Sa phrase est très directive; je me lève, dis au revoir à Madame H. et le suit.
Dans le couloir il est déjà un peu plus calme:
- Excusez moi, j'ai été un peu brusque mais vous comprenez, le médecin nous a demandé de sortir de la chambre parce qu'on l'empêche peut être de mourir. Il faut qu'elle soit seule pour pouvoir partir.
Les paroles du médecin ont été entendues. En quittant cet homme, je réalise que je le comprends. Même si je ne pense pas avoir créé de liens qui retiennent Madame H., pour celui que je devine être son fils, voir sa place prise par un étranger ne doit pas être facile. L'enfer serait-il pavé de bonnes intentions?
Madame H. mourra quelques heures plus tard. Seule. J’espère que c’était ce qu'elle voulait… Moi je l'aurais bien accompagnée un peu plus...