premier janvier
Je ne me suis pas vraiment demandé ce que j'allais dire en entrant dans les chambres aujourd'hui. J'ai passé la matiné à échanger des messages joyeux avec tous, à souhaiter une belle année, avec beaucoup de chaleur, d'amis, d'amour, de rire, et bien sûr une santé de fer... Et je suis là, devant la porte de la première chambre dans laquelle je me prépare à entrer... Un "bonne année " haut et clair ne me semble pas le plus approprié. et en meme temps, faire comme si aujourd'hui était un jour ordinaire ne me parait pas très juste. Tout indique que ce n'est pas le cas. Des décorations de Noel colorent encore les couloir, les services font la fête. Le déjeuner des soignants s'est prolongé en café gourmand, des rires fusent des salles de soin, quelques galettes se partagent, des couronnes s'échangent... Coté malade, les chambres sont plus bruyantes que d'habitudes, des enfants venu voir leurs grand parents, des amis en vacances, de passage... Et puis il y a des chambres vides. Exceptionnellement ou régulièrement vides. Madame S. est assise sur son fauteuil, un chale posé sur les épaules, une table devant elle; Elle semble attendre quelqu'un. ce sera moI. - vous avez vu , ils font la fête à coté! Je ne sais pas si elle parle de la chambre d'a coté ou des soignants... je lui demande si ça la dérange - pensez donc, c'est la nouvelle année, ça se fête! Je lui présente mes meilleurs voeux... mais lesquels?
- qu'est ce que je peux vous souhaiter?
- de partir d'ici le plus vite possible.
Je n'ai jamais rencontré cette malade; sa phrase me laisse dans le flou et mes pas suivants sont incertains.
- vous en avez assez?
- Oui. Il faut que je meure maintenant.
Au moins je suis fixée sur le sens de son départ.
- J'ai bien vécu, maintenant je deviens une source de préoccupation. J'ai passé ma vie à ne dépendre de personne. C'était tellement important pour moi. Mes enfants sont grands ils ont eux-même des enfants, j'ai meme une arrière-petite-fille... J'ai plutôt bien réussi avec eux. Ils sont bien. Mais il faut qu'ils vivent vous comprenez; je ne vais pas les encombrer comme ça.
En écoutant madame S. me raconter la vie de ses deux filles, je comprends qu'une des deux habite à l'étranger depuis plus de dix ans et que l'autre est en vacances depuis quinze jours pour se reposer de son travail très prenant; il n'y a aucune trace de jugement ni de reproche dans sa voix. elle est posée, et parle avec amour de sa famille .
- Mais maintenant il faut que j'arrête de les préoccuper vous comprenez. J'ai fait mon temps; je voudrais que ça aille vite. J'ai du mal a accepter que ça n'aille pas comme je veux.
En la quittant je lui souhaite que cette nouvelle année soit pour elle la plus douce et la plus courte possible. Elle me sourit:
- Merci, vous m'avez bien comprise .
Dans le couloir je réalise combien ce lieu et ce temps nous offrent une précieuse liberté de parole.