L'homme qui marche
Dans le couloir un homme fait les cent pas. Un peu vouté, les mains croisées derrière le dos, le regard au sol, il marche lentement tournant à chaque fois au même endroit. J’hésite à aller le rencontrer, mais il me parait tellement concentré, à moins que ce ne soit de l’évitement, ou de la tristesse. Comment deviner sans connaitre l’histoire ni croiser le regard ?
Finalement je décide de le laisser tranquille et entre dans la chambre d’une malade qui souhaite faire un tour dans le jardin.
Il fait doux dehors, et ce temps passé auprès d’une charmante dame qui somnole me redonne des forces. Je la regarde présenter son visage si pale aux rayons du soleil, geste si familier qui me parle de toutes les femmes de la famille aujourd’hui disparues. Je revois chacune amorcer ce même mouvement du cou levé vers le ciel, esquisser un léger sourire, et fermer les yeux. Comme un temps suspendu. A ses côtés, je me laisse porter par sa sérénité.
La fin de journée est là, mon hôte du jour a retrouvé sa chambre et je remarque que l’homme qui marche est maintenant assis. Il a déplacé une chaise pour être près de la porte d’une chambre. Je ne sais si sa position assise ou son regard qui me croise me semble plus accueillante mais mes hésitations ont disparues et je m’approche pour le rencontrer.
- C’est gentil madame, mais ne vous occupez pas de moi. C'est un peu différent pour moi. Je ne viens pas rendre visite à quelqu’un. Moi ici, je reviens.
Devant mon air interrogateur il continue :
- Je reviens tous les ans depuis quatre ans. Je ne peux pas m'en empêcher.
Tout en me parlant il se lève et me montre un espace accueil – nous serons mieux ici pour parler -
Je rapproche la boite de mouchoirs posée sur une table et m'assois près de lui.
- C’était dans cette chambre. Mon épouse est restée trois semaines ici.
Il pleure sans bruit en regardant vers la chambre et je suis son regard. Je sens qu’il n’a pas envie d’être regardé, seulement d’être seul avec quelqu’un à côté…
- Je suis désolé de pleurer comme ça. Je n'ai pas de tenue. Mais si vous saviez ce que ça fait du bien. Il n’y a qu’ici que je peux me le permettre. Ici je me sens libre.
Nous resterons là quelque temps sans parler. Il pleurera, je lui tendrai un mouchoir, puis il se lèvera, me serrera longtemps la main - merci de m'avoir laissé pleurer, je vais mieux maintenant- et repartira de cette même démarche, vouté, les mains derrière le dos.
Son pas me semblera moins lourd.