Le temps des cerises
Depuis plusieurs mois, cette pianiste professionnelle passe de temps en temps offrir quelques notes de musique à ceux qui le veulent. Aujourd'hui, une malade souhaite venir l'écouter, et m'offre l'opportunité d'assister à ce mini concert. Nous sommes une dizaine, les malades sont venus accompagnés, lits et chaises se retrouvent serrés autour du piano. En attendant l’artiste, certains échangent entre eux; ils semblent se connaitre. Les familles se sourient, confient leur joie de savoir que leur proche a eu envie de sortir de sa chambre. "C'est bien d'avoir ça, les journées sont tellement longues... hier il était tellement fatigué - il jouait du piano avant - c'était un grand mélomane"...
Et puis la pianiste arrive... et comme au concert, tout le monde se tait.
Elle s'installe, demande aux malades s’ils aiment un morceau particulier - personne ne répond - alors elle commence… Chopin s'envole du piano et vient toucher chacun. Malades, familles, amis, soignants venus écouter, plus personne ne bouge, chacun est saisi par les premières mesures; la musique fait son chemin, des sourires se dessinent, des yeux se ferment, des larmes coulent... chacun à sa façon accueille la musique.
Les sonates se suivent, ponctuées de faibles applaudissements; entre deux morceaux les personnes commentent à voix basse. Dans le couloir, quelques curieux passent une tête, s'arrêtent puis repartent... Des soignants viennent écouter quelques mesures, une autre façon d’être avec leurs malades.
Le temps du classique est écoulé. La pianiste sait que les malades se fatiguent vite ; l’un d’entre eux veut rejoindre sa chambre et quitte lentement la salle au bras de sa femme. L’artiste change de registre... elle tape trois notes sur le clavier et chacun reconnaît une mélodie qui appartient au temps passé, le temps où la maladie n’était pas, où ils étaient encore jeunes, et peut-être même pas encore nés « Quand nous chanterons le temps des cerises… » .
D’une seule et même voix (ou presque) tous les malades entonnent la chanson. Qu'ils chantent juste ou faux, faiblement ou très fort, immobiles ou en marquant le rythme, tout d'un coup, une ambiance festive vient remplacer le recueillement silencieux. Dans une joie commune, une chorale est née le temps d’une chanson …
« Mais il est bien court le temps des cerises ».