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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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15 mars 2018

Jusqu'où peut-on aller?

Elle tourne en rond dans le couloir comme un ours en cage. Grande, un regard de feu, elle arpente le couloir d’un pas décidé et me fixe. Un peu tendue, je me dirige vers elle armée d’un sourire, et tente de la rencontrer.

 - Vous avez l'air en colère...

Elle me hurle un "OUI" agressif en me regardant fixement et rajoute plus bas en me prenant le bras - mais ce n'est pas contre vous.

Elle m’emmène marcher plus loin et baisse un peu le ton. Il ne me faut que quelques minutes pour comprendre l'objet de sa colère. Cette femme est auprès de sa compagne avec laquelle elle vit depuis plus de quarante six ans. Elles ont tout partagé et ont juré de ne jamais se séparer, même dans la mort. Lorsque sa compagne a déclaré un cancer, elles se sont battues tous les deux, d'hôpitaux en hôpitaux, de chimio en chimio, elle a toujours été près d’elle. La maladie était un quotidien à affronter pour toutes les deux. Lorsqu'elles ont su qu'elle ne guérirait pas, elles ont décidé ensemble que même là elles ne se quitteraient pas. Elle a donc promis à sa compagne qu'elles allaient partir ensemble à l’étranger pour choisir leur mort. Quand elles le voudraient, et comme elles le voudraient. Toutes les deux.  Elle me raconte lui avoir fait croire qu’elle rentrait d’un séjour à l’étranger où elle avait tout arrangé. Qu’une association formidable allait les prendre en charge et leur permettre de réaliser leur projet, que les dossiers étaient remplis et qu'elles allaient bientôt partir...

La femme me regarde comme si elle voulait moi aussi me convaincre. Je reste silencieuse, un peu déstabilisée par son récit.

- Lorsque je suis arrivée, j’ai raconté ce projet au médecin, pour qu’il m’aide et qu’il joue le jeu, mais il n’a pas voulu.


Je comprends que le médecin ne voulait pas être du mensonge. Il lui a précisé que son amie n’était plus en état de voyager et qu’elle ne pouvait pas cautionner cette histoire.

- Elle m'a dit qu'elle me laissait toute liberté pour l'organiser de mon côté puisque j'étais personne de confiance. Quelle lâcheté ! Vous vous rendez compte! ça fait deux mois que je mens à mon amie, que je lui dis qu'on va mourir ensemble; je viens de lui annoncer que tout est prêt pour nous là-bas! et le médecin vient lui dire froidement qu'elle n'est pas en état de voyager! Et qu’elle n'aura probablement pas le temps de se remettre pour pouvoir y aller! Il lui a dit qu’elle allait mourir ! C'est inhumain de dire à quelqu'un qu'il va mourir! Quelle sécheresse!

J'ai du mal à suivre le chemin de cette femme révoltée et ai besoin de comprendre:

- Vous aviez vraiment l'intention de mourir avec elle?

- Bien sur que non, mais je peux bien le lui faire croire pour la rassurer! Quand les gens vont mourir il faut leur mentir, jusqu'au bout! A quoi ça sert que je lui mente moi si personne ne me suit!

Elle serre mon bras comme si elle voulait me convaincre... Une infirmière sort de la chambre de sa compagne.

- Ha enfin!

et elle me quitte d'un pas pressé pour aller la retrouver.

Dans le couloir, j'ai du mal à digérer ce que je viens d'entendre. Une invention bien étrange.

Le médecin qui a vu notre conversation me fait signe de venir le retrouver. Il est lui aussi très bousculé par ce qui vient de se passer.

- Aucune association même à l’étranger n'accepte d'aider à mourir quelqu'un qui n'est pas malade simplement parce que sa compagne est en fin de vie. Je ne peux pas valider ça ! Lui dire qu'elle n'était pas transportable, c'était pour moi une vérité qui permettait de sortir de cette impasse dans laquelle elles sont!

Après un silence il ajoute :

- La malade ne m'a jamais fait une demande de suicide assisté. Elle n’a jamais parlé de repartir pour mettre en œuvre ce projet. Et pourtant nous avons beaucoup parlé ensemble ; d’elle, de sa compagne, de la manière de vivre au mieux. Elle sait très bien qu’elle va mourir, elle m’en parle depuis son arrivée. Je ne lui ai rien appris. Sa demande, c’était de ne pas souffrir. Elle m’a demandé si je pouvais l’aider. Et je lui ai promis d’être là.

 

Commentaires
S
C'est hallucinant ce double mensonge, je suis stupéfaite. Oui le médecin en disant une vérité a peut être trouvé une issue de sortie à ce huis-clos. J'espère que le chemin de vérité a pu aller jusqu'au bout.
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L
C est poignant de voir le désespoir de celle qui reste ! Et la différence de point de vue non dite au sein de ce couple. Je leur souhaite d avoir une conversation en vérité toutes les 2 pour apaiser un peu toute cette souffrance. J aime beaucoup votre blog et vos histoires toutes en nuances.
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M
Vous me confrontez au fil des mois par des histoires diverses, que l'approche de la mort peut être (pour le malade, et/ou les proches ) aride, décapante, malgré l'entourage ou malgré ce que vivait la personne récemment. Cette fois, le médecin avait une présence comme on l'idéalise. Votre présence constante, impuissant témoin quelquefois, ou confident, et ce don de nous en partager les questions, les silences, les incompréhensions... Merci !
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C
Cette bulle refermée sur ces deux femmes, depuis si longtemps.... Et cet état avancé de cancer qui fait éclater cette bulle, qui les relie maintenant au médecin, à la bénévole... C'est touchant de désespoir. et oui, plein de questions.
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D
Un texte qui amène tant de questions, aussi bien sur le pourquoi de cette étrange invention que sur l'attitude à avoir en réponse. <br /> <br /> Une seule ici : ces femmes ont-elles accepté l'aide de la psychologue du service pour les aider à avancer et pouvoir enfin se dire les choses essentielles ?
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