Cheminement
Dès mon entrée dans la chambre je sens une tension dans l’air. Une femme énergique et crispée m’accueille assise dans son lit, les bras autour de ses jambes, les muscles tendus. Elle serre ma main d'une poigne de fer et la relache rapidement pour enserrer à nouveau ses genoux.
- Asseyez-vous.
Le ton est comminatoire. Je m’exécute en souriant. Je devine un fort caractère qui a besoin de s'exprimer.
- Je suis arrivée il y a quelques jours, et je réalise que tout le monde est contre moi.
Mon visage doit exprimer un étonnement qui l’incite à continuer.
- Mais si, je les vois bien les soignants de l’équipe; ils veulent me manipuler, décider pour moi, m'empêcher de choisir. J’ai l’habitude de ce genre de personnes, depuis le temps, je les connais. Je suis arrivée ici mais je ne sais pas vraiment pourquoi, parce que ici il n’y a que des malades. Et moi, je sais que je suis guérie. C’est même moi qui ai demandé à arrêter les traitements de chimiothérapie. Et ils l'ont fait. Ça n’avait aucun sens de continuer, puisque je suis guérie vous ne trouvez pas ?
Je la laisse continuer.
- Remarquez, ça c'est le bon coté de l'histoire. Regardez, je n’ai plus rien, pas de perfusion, pas de tuyaux branchés, enfin libre! Maintenant je reste en attendant de savoir si je vais être bien ici. J’essaye, après tout, il paraît que c’est un bon endroit pour se remettre. Mais en réalité je vois que je ne suis pas bien. Je suis terriblement angoissée, ça m'oppresse. J'ai essayé de m'habituer, mais je n'y arrive pas il faut que je sorte, et vite. Parce que si je reste, je vais lâcher prise.
Au fond de moi, il me semble que cette femme n’en peut plus d’angoisse et que cela lui ferait du bien de se laisser faire dans la confiance ; mais je me tais. Ce que je pense a peu d’importance pour elle.
- Vous comprenez, si je lâche prise alors je vais partir. Partir pour toujours. Mais ça ce n’est pas possible. Il y a encore tant à faire. A vivre.
Les mots du début son loin, ceux où elle m’annonçait sa guérison, son choix d’arrêt de traitement. La réalité surgit au détours d'une phrase, comme une évidence.
- Je n’arrive pas à accepter. Moi je sais que c’est un complot contre moi. Ils veulent me garder malgré ma volonté. Ils ne veulent pas que je m’en sorte.
Elle regarde droit devant elle, comme si elle avait oublié ma présence. Elle fixe intensément le mur face à elle sur lequel s ‘affichent des photos de paysages colorés, de fêtes de famille. Je suis la direction de son regard et croise le visage de celle qu’elle était il n’y a pas si longtemps. Le même regard intense, la même volonté qui en émane. Elle se parle tout bas :
- C’est ça hein. Tu le sais bien, c’est un complot. Un complot contre toi.
Elle allonge ses jambes et repose sa tête sur son oreiller. Puis elle semble se rappeller ma présence.
- A moins que j’ai tort. Que je ne sois pas guérie. Que ce soit pour ça qu'on m'a mise ici. Ce serait terrible dans ce cas.
Elle me regarde et je lis dans ses yeux un trouble.
La tension du début fait place à un silence habité. A ses côtés, je soutiens son regard, je n’ai rien à ajouter. Je peux seulement l’accompagner encore quelques minutes, ne pas la laisser seule.