Que faire de plus ?
Il faut des bras pour aider Madame V. à remonter dans sa chambre en lit. Je vais donc la rejoindre et retrouver son fils avec lequel j’échange depuis plusieurs semaines. Mais elle ne veut pas rentrer ; elle est installée dans le jardin pour fumer une cigarette :
- C’est la première depuis trois jours, alors j’en profite. J'ai été tellement mal, j'ai eu très peur.
Effectivement je lis sur son visage l’expression d’une terreur. Son fils m’explique :
- Elle s'est sentie partir.
Et me fixe d'un regard soutenu. Puis tout bas, pendant que sa mère répond au téléphone, il ajoute :
- Les médecins aussi ont cru que c’était la fin. Ils m’ont appelé pour que je sois près d’elle comme je l’avais demandé… et puis elle est revenue. C’est tellement étrange ce qui se passe en ce moment. Je ne comprends rien. Je crois que personne ne comprend.
Son fils est là tous les jours. Jeune papa, travaillant, il tente de dégager du temps pour elle. Je les ai rencontrés plusieurs fois, et suis admirative devant sa maturité et leur complicité. Il a l'intuition géniale de savoir comment être avec elle; ni triste ni trop léger, il trouve toujours le ton qui me semble juste. Il est à l'aise avec les manipulations, les déplacements du lit, semble trouver tout normal. Aujourd'hui il est penché sur sa mère et caresse sa main avec douceur. Les rôles se sont inversés. Il y a une semaine, elle était toujours la mère, et face à son fils elle avait des paroles rassurantes, affichait un visage riant et gai, le questionnait sur ses enfants, son boulot. Elle était attentive, et il apportait l'air de dehors, de la vie. Il l’inscrivait dans son quotidien, partageait ses joies et ses histoires du jour. Mais cet incident a rendu sa mère angoissée. Alors je retrouve un fils à l’écoute, rassurant, attentif à chaque geste de sa mère, chaque regard. Il ne quitte pas son visage, comme s’il voulait anticiper ses demandes, ses peurs.
Madame V. a raccroché son téléphone, ils échangent peu de mots, la cigarette se consume lentement, les minutes s’égrainent, ils prennent leur temps, se sourient tendrement – tu es bien ? – et toi ?
Dans le jardin, des familles passent; ils sont des habitués, et tout le monde les connait; une femme interpelle le fils :
- Ha vous êtes là ? Votre mère se languit de vous! Elle vous réclame tout le temps.
Le fils sourit :
- Mais je suis là tous les jours !
- Ben faut croire que vous lui manquez !
Le fils me regarde, triste, impuissant :
- Vous savez je ne peux pas faire plus …
Vu de ma place, je ne vois pas ce qu’il pourrait faire de plus que cette présence douce, rassurante et enveloppante.
Etre là et aimer. Savoir aimer jusqu’au bout.