C'est bien d'avoir un projet !
Madame J. est arrivée la semaine dernière en urgence. Aux transmissions, les soignants sont en questionnement. Ils parlent d’une aggravation soudaine de son état sans que rien ne permette de comprendre vraiment. Il y a quelques jours encore elle était à son bureau, battante, debout. Aujourd’hui, elle est épuisée, sans famille autour d’elle.
- elle a besoin d’une lessive, tu peux t’en charger ?
Je commence donc mon bénévolat en allant à la rencontre d’une femme qui me paraît bien jeune. Elle tourne la tête vers moi et esquisse un sourire. Ses yeux sont chargés de tristesse et de lassitude. Je m'apporche de son lit et lui tends la main.
- Bonjour. C'est vous qui venez pour la lessive ? c’est gentil. Tout est dans le placard.
Elle garde ma main dans la sienne.
- J'ai envie de dormir. On m'a changé de traitement parce que je suis allergique. C’était insupportable, tout tournait autour de moi. Mais avec le nouveau, j'ai tellement sommeil. Je n'ai pas la force de parler.
Je lui précise que je ne la dérangerai pas, que je viens seulement récupérer ses affaires.
- Ha oui, merci. J'ai un fis qui habite à l'étranger ; je suis arrivée ici en urgence. Je n'avais pas prévu, je suis partie sans rien alors j’ai besoin d’un peu d’aide. Une amie m'apporte des affaires la semaine prochaine, mais là je suis en panne. Dites-moi il y a la possibilité de faire des machines ici ou vous êtes obligée d’aller à la laverie dehors ?
Je la rassure, nous avons ce qu’il faut.
- Tant mieux, c’est mieux pour vous. Et je voulais savoir, c'est vrai qu'il y a des livres ici ? j'ai envie de trouver quelque chose sur Dali. Vous croyez qu’il y en a un ? j'ai un projet. Depuis très longtemps, je voudrais monter un projet autour de ses œuvres.
- Je peux chercher, on ne sait jamais!
- J'ai fait une école d'art mais je travaille dans les sites internet. Je ne code pas mais je sais comment ça marche; c'est important pour parler avec des codeurs. Ca me donne de la crédibilité face à eux, ils ne peuvent pas me dire n’importe quoi ! Mais maintenant, j’ai peur que ce ne soit plus le sujet. Alors pourquoi pas Dali… ce surréalisme, cette modernité, c'est tellement imaginaire, un peu de folie. Il faut un peu de folie dans la vie, vous ne croyez pas ?
J’acquiesce. Madame J. semble reprendre un peu de vie. Son regard s’anime et me fait du bien.
- Et il faut aussi des projets. C'est bien d'avoir un projet, c'est important pour avancer… même si…
Elle s’arrete de parler ;
Les larmes coulent. Le silence s'installe.
- Je suis désolée excusez-moi
- Ne vous en faites pas. Nous avons le temps.
Le silence encore.
- Prenez votre temps, je vais prendre une chaise.
- Non ce n'est pas la peine ça va aller. Il y a des choses que l'on sait, que l’on sait profondément, et dont on ne veut pas parler. C'est comme ça. Je vous remercie d'être venue.
Elle serre ma main, puis la lâche et referme les yeux.
Je me dirige vers le placard, prends son sac de linge et la quitte, un peu désarmée. Je ne suis pas certaine que ma présence l’ait aidée.