Les copains d'abord
Le service est animé par une joyeuse et bruyante bande d'amis. Une moyenne d'âge de vingt cinq ans, des visages colorés et variés, baskets et capuche de rigueur en signe de reconnaissance. Assis sur des bancs, ils attendent que les soins en cours se terminent.
Dans la chambre, une mère de famille dont l'état se dégrade rapidement. Parmi eux un fils qui sait que le temps est compté et qui a besoin de soutien. Je les observe de loin, je les sens soudés, ils sont bien ensemble. Les discussions fusent, ponctuées de blagues, pour passer le temps. Puis la porte s'ouvre, et le niveau sonore baisse d'un coup. Le jeune homme entre dans la chambre pour un temps de présence. Il est fils unique, jeune marié. Sa femme le laisse seul et vient me rejoindre. Elle est inquiete pour lui, consciente du lien qui le lie à sa mère.
- Elle est tout ce qu'il a. Depuis que je le connais, il n'écoute qu'elle et a besoin d'elle pour tout ce qu'il fait dans sa vie. C'est son socle.
- Avec vous maintenant.
Nous n'avons pas le temps de parler longtemps, son jeune mari sort déja de la chambre. Il n'est pas facile de se tenir face à l'inconnu, au silence, à la fin. Il installe sur son visage un sourire un peu forcé, comme s'il souhaitait rassurer sa femme, retrouver sa place de jeune un peu inconscient auprès de ses amis.
- Je pars vite, j'ai un match de basket ... on se retrouve à cinq heures?
Sa femme acquiesse et le regarde partir.
A peine quelques minutes plus tard, il revient en courant. Un appel du médecin vient de lui apprendre la mort de sa mère. Le jeune homme à la démarche chaloupée et à la vitalité contagieuse entre dans la chambre de sa mère, et de là s'échappe un hurlement, venu du fond des temps, le cri d'un animal blessé, abandonné, une expression archaïque de sa souffrance ; il hurle à la mort et ce cri nous saisi tous aux entrailles.
Sa femme m'entraine avec elle :
- Il faut y aller !
Le fils est debout face au lit de sa mère .
- Qu'est ce que je vais faire sans elle ! comment je vais faire ! je pensais qu'elle m'attendrait. C'est ma mère, c'est ma mère, c'est ma mère !
Il répète cette phrase comme si elle surgissait telle une évidence face à cette absence à venir. Sa femme arrive et le prend dans ses bras .
- Je suis là ! je suis là, je suis là. Elle répète ces mots comme un écho à sa plainte - c'est ma mère - je suis là -
Ils ne font plus qu'un, lovés dans les bras l'un de l'autre. La jeune épouse semble d'un coup plus agée que lui ; comme une place de mère qu'elle viendrait prendre l'espace d'un instant. Ils sortent de la chambre, et immédiatement se forme autour d'eux une grappe d'amis. Ils ont besoin de se serrer les uns contre les autres. Front contre front, épaule contre épaule, bras et mains enlacées. ils sont ensemble, dans les larmes maintenant comme dans les rires il y a seulement quelques minutes. Je les regarde s'éloigner vers le jardin.
- On a besoin de sortir, on va fumer une cigarette.
Deux soignantes viennent me rejoindre; nous sommes tous ébranlés par cette expression brute et violente de la douleur. Son cri résonne encore en nous.