Il faut que je te raconte !
Madame F. est chez nous depuis trois semaines. Son état s'est nettement amélioré, elle a retrouvé l'appétit, et l'assistante sociale cherche pour elle un lieu mieux adapté à sa situation. Madame F. appréhende un peu ce départ, mais comprend que c'est pour son bien.
- Ici, c’est vrai que je ne peux pas être mieux mais c’est un peu limité comme activité. En attendant, j'ai décidé de profiter de tout ! ce matin j'étais au jardin, hier art thérapie...c'est le club Med ici !
Elle étale sur sa table ses dernières création.
- je peux vous raconter comment j'ai fait ?
Je m’assois auprès d’elle et l’écoute;
Chaque feuille et couleur m'est expliquée, et à travers elle, madame F. évoque des lieux, des moments de joie en famille ; elle me parle de son travail.
- Pas passionnant mais de mon temps on était content d'en avoir un et de le garder. Le chômage c'était la honte.
Elle raconte aussi sa maladie et sa peur de la mort. Ses yeux restent fixés sur ses peintures pour une parole plus libre, puis elle me fixe avec un sourire lumineux :
- Mais la mort s'est éloignée pour quelque temps, alors je n'ai plus peur. On verra plus tard. Si vous saviez comme ça me fait du bien de vous montrer tout ça et de parler un peu avant que mon mari arrive ! Parce que lorsqu'il arrive je ne peux pas placer un mot ! il a trop de choses à raconter ; c’est simple, il fait défiler toute sa journée ! il n'oublie pas un détail ! C’est comme s’il avait peur de m'entendre raconter la mienne. Vous savez comment sont les hommes, ils ont peur des hôpitaux, de la maladie, et des larmes. Je crois qu'il pense que je ne fais rien de mes journées et que je vais me plaindre ou pire, que je vais pleurer. Alors je l'écoute. Mais parfois je me dis que mes journées sont bien plus intéressantes que les siennes ! Et puis j’aimerais bien parfois pouvoir parler avec lui de la maladie, de notre vie… Dès que j'essaie il me coupe la parole.
La porte s'ouvre et entre un homme pressé.
- Justement le voilà !
Quelques présentations rapides et l'homme jette coup un œil vers la table :
- Qu'est-ce que c'est ?
- Mes occupations ... regarde…
- Attend, je pose mes affaires... et il faut que je te raconte ! tu ne devineras jamais ce que j'ai fait aujourd'hui !
Alors que je les quitte, madame F. me fait un clin d'œil et murmure en souriant :
- Qu’est-ce que je vous disais....