Simon
C’est le soignant le plus chic de l’unité. Quelle que soit l’heure et la saison, il porte un costume gris impeccable, une chemise blanche tendue sur un ventre respectable, et une cravate sombre. Avec ses joues colorées et sa barbe grise bien taillée, il ne passe jamais inaperçu lorsqu’il sort de l’ascenseur.
Droit comme un I le regard fier, la démarche assurée, il pousse son lit avec détermination. Il entre dans le service, échange avec les soignants et se dirige lentement vers une chambre.
Quelque temps après, il en ressort, poussant avec délicatesse son lit maintenant habité. Il parle à la personne couchée devant lui, visage découvert, yeux fermés, cheveux parfaitement coiffés, habillée d’une tenue toute propre qu’elle n’a parfois jamais portée. Simon n’accompagne pas des personnes en casaque d’hôpital ni en vêtement de nuit mais en habit de ville. Pour un dernier voyage.
Simon est agent funéraire.
La personne qu’il est venu chercher aujourd’hui est une femme que je connaissais bien. Sans la présence de sa famille, je fais quelques pas avec eux jusqu’à l’ascenseur; c’est ma façon de terminer un accompagnement. deux infirmières sont là également, nous sommes sa famille soignante. Et nous entendons Simon lui parler. "Allez madame, maintenant on y va. Ils vous ont fait toute belle aujourd’hui. Attention ça va un peu secouer, c’est l’ascenseur… au revoir tout le monde..."
Il est comme ça Simon, il parle aux personnes qu’il accompagne, comme si elles allaient lui répondre.
Derrière eux, les portes se ferment, Madame C. quitte le service. Elle est morte ce matin.
Cette personne qu’il est venu chercher va descendre au funérarium. Elle y restera quelques jours, le temps que ses proches fassent les démarches nécessaires pour les obsèques. Pendant ce temps, Simon en prendra soin, lui parlera, lui annoncera les visites. A chaque demande, il ira la chercher, l’installera sur un lit, et l’emmènera dans un salon de présentation où sa famille pourra se recueillir. Il accueillera ensuite les familles, avec une distance respectueuse; Simon n’est pas habitué à ce que les personnes lui répondent.
J’ai mis du temps à comprendre Simon, son métier, et ses motivations. Un jour, il m’a fait visiter les lieux. Et j’ai compris, à sa façon de parler de "ses morts", avec respect et douceur, de m’expliquer sa vie « en-bas », dans cet endroit si froid qu'il tente de réchauffer de sa présence, que ces personnes avec lesquelles il partageait ses journées étaient un peu sa famille.