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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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28 septembre 2019

Lassitude

Appuyé contre le mur, à coté de la porte de la chambre de sa femme, il a une boite de gateaux déchirée à la main.

- Je m'étais apporté ça mais je ne l'ai pas mangé ;

Je prends le temps de me présenter mais il me coupe la parole en m'appelant par mon prénom :

- Je sais qui vous êtes.

Il garde ma main dans la sienne et me dévisage de la tête aux pieds. S'en suivent une série de compliments trop appuyés auxquels je ne réponds pas. Face à mon silence, monsieur O. choisit un autre sujet :

- Je ne sais plus où j'en suis. je suis perdu. Je n'arrive pas à me projeter. J'ai envie de me sentir vivant. me sentir vivant vous comprenez ?


Son regard évolue un peu et me met mal à l'aise. Je ne suis pas sure d'avoir envie de comprendre.


- Je ne sais pas si nous nous reverrons. ça dépend d'elle et de vous.

Elle étant sa femme qui est dans un état précaire derrière la porte. Je choisis de comprendre le vous comme l'ensemble de l'hôpital et des personnes y travaillant, mais il me corrige immédiatement :

- Non je parle de vous. Si vous voulez, on se revoit.

Il a le mérite d'être direct.
Je prends le temps de lui préciser le cadre de ce bénévolat, dans l'instant, une journée après l'autre, sans projet ni projection. Il me regarde et dit :

- Je suis completement perdu.


Je respire, je vais pouvoir revenir à un accompagnement plus normal et lui demande si il a envie de quelque chose, un café, un thé, s'assoir...
il s'en saisit immédiatement;


- Un thé ou un café non, mais autre chose, quand vous voulez et où vous voulez...

J'ai l'impression d'être en face d'un ado de seize ans... et peu envie de jouer.

Je reste muette. il finit par quitter ce registre et me propose de nous assoir sur un banc. Ainsi installés, il a besoin de me raconter le parcours de santé de sa femme, et la façon dont il s'est occupé d'elle, une présence permanente, qui a occupé ses premiers mois de retraite, comment ils ont conservé une "vraie vie" en allant au restaurant, au cinéma, en prenant des places d'opéra... Comment il la portait et lui préparait ses repas, la lavait et l'habillait. Jusqu'à ce qu'il n'arrive plus à la porter.

- Elle n'avait plus aucun appui, elle devenait trop lourde pour moi. Alors on est allé à l'hopital, puis arrivés ici . J'ai su faire... Mais pour "l'être". Je ne sais pas si j'ai su être. Vous savez ce que m'a dit ma femme au début de sa maladie ? Lorsque je lui ai dit qu'on allait se battre, qu'on allait tout faire pour que la vie se déroule le plus normalement et le mieux possible... Elle m'a dit que j'allais tout faire bien mais que ce ne serait pas pour elle que je le ferai, mais pour moi. Et elle avait raison. J'ai tout fait pour elle parce que ça me donnait bonne conscience. 

Il se déplace sur le banc et prend ma main.

- Vous savez, je suis quelqu'un de normalement évolué, j'ai fait des études, j'ai mené une vie professionnelle réussie, je sais que l'homme est mortel, mais je suis tellement incapable d'affronter cette mort. Je me retrouve comme un crétin. Je n'y ai jamais pensé. ni à ma mort, ni à celle de ma femme. Quand j'ai perdu ma mère ça ne m'a pas bousculé plus que ça. Elle avait l'âge. mais ça ne m'a pas pour autant amené à réfléchir sur la mort. Et maintenant, je suis là, auprès de ma femme avec tout le temps pour y penser mais incapable de le supporter.
Chez nous c'est elle qui avait les amis. La vérité c'est que je suis seul. Moi j'étais l'organisateur, l'esthète. Elle c'était le social, la fantaisie. Quand elle ne sera pas là, je serai seul. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie après.
J'essaye de lui proposer de s'occuper de sa vie maintenant.

- Maintenant, j'ai envie de me sentir vivant, de me rappeler que j'ai un corps. Vous faites quoi pour sentir la vie en vous ?

Cette question me prend de court. Beaucoup d'images me viennent à l'esprit, je choisis la plus sage.


- Je m'installe à la terrasse d'un café et je regarde les gens vivre.


- A la terrasse des cafés, il n'y a que des femmes de vingt ans !

- Peut-être ne voyez-vous que celles de vingt ans mais il y en a surement de plus agées. 

- C'est pour ça que je vous regarde. Vous ne voulez pas venir avec moi à la terrasse d'un café ?

Je me sens prise d'une certaine lassitude...

- je vais vous laisser.

Il se lève, reprend sa boite à gâteaux, et me serre la main.

- Moi aussi je vais y aller; quand je vous ai croisée, j'allais partir.

Il fait quelques pas vers l'ascenseur, et se retourne :

- Mais si vous voulez, on se retrouve quelque part !

Commentaires
S
Quel combat dans cet homme… De nombreux aidants doivent vivre toutes ces questions ... Merci de les avoir abordées avec nous.
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P
OUf! Pas facile celui là... On voit des besoins de chacun autour de cette fin de vie avec toutes la diversité des individus...
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