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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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30 octobre 2019

Atterrissage

 Il est arrivé hier des Etats-Unis. Il a la démarche dégingandée de l'adolescent trop grand avec des bras dont il ne sait que faire. Lentement, il entre d'un pas chaloupé dans la chambre de sa mère, un sac en plastique avec son pique-nique dans une main, ses écouteurs dans l'autre. Un visage souriant, un catogan, des yeux clairs, il semble venu d'ailleurs.

Je suis auprès de sa mère en présence silencieuse depuis déjà quelque temps. Les soignants m'ont prévenu de l'arrivée de son fils et souhaitaient que quelqu'un soit là à son arrivée. Madame N. a une respiration faible mais calme, les yeux clos, et je ne perçois aucun changement à l'arrivée de son fils. 

Je me lève pour accueillir son fils et lui propose de s'assoir près de sa mère, mais il décline sans la regarder et commence une conversation qui me destabilise. Il veut tout savoir des bénévoles, pourquoi nous faisons ça, combien nous sommes, si j'ai vu des gens mourir, comment ça se passe. Une foule de questions auxquelles je tente de répondre brievement tant j'ai envie qu'il parle à sa mère. Je la sais en état précaire, mais j’ignore ce qu’elle entend ou ressent. J'attends le moment où son fils va enfin lui dire bonjour, et la regarder. Mais rien ne vient. 


- Vous pensez que je dois lui parler de la mort ? Vous en parlez avec eux ? vous devez savoir depuis le temps, vous avez l'habitude. Moi ça va je n’ai pas de problème avec ça mais elle, je ne sais pas si elle veut en parler. Je ne sais même pas si elle sait que je suis là. 

Je suis mal à l'aise de cet échange qui ne tient pas compte de la malade. J'aimerais le recentrer sur sa mère ; je tente de le sensibiliser à l'existence du lien qui demeure. De l'importance de parler, de dire. De rester dans la relation telle qu'elle a toujours été, d'être en vérité.

Debout au pied du lit, il n'a toujours pas regardé sa mère. Je comprends qu'il ne peut pas, qu'il n'y arrive pas. Il continue sur le registre de l'expérimentation

- Vous croyez qu'on peut la mettre dans une piscine ?

Je regarde sa mère, si faible, si proche de la mort, et suis désarmée par sa question. 
Le jeune doit le lire sur mon visage. 

- J'ai vu de émissions là-dessus. On les met dans un hamac et on les plonge dans une piscine ; ils disent que ça leur fait du bien.

Il enchaine - je vais voir les infirmières - et me laisse au chevet de sa mère. 
A sa sortie, je me recentre sur sa mère et lui parle doucement :

- Votre fils vient d'arriver ; il a apporté son diner pour rester près de vous.


Madame N. ouvre très lentement les yeux et regarde autour d'elle. Je souffre à l'idée qu'elle a pu entendre cet échange que j'ai eu avec son fils ; ce temps passé pendant lequel il n'a pas fait un geste vers elle, ne lui a pas parlé. Je lui précise qu'il est allé parler aux soignants et qu'il va revenir.
Madame N. ferme les yeux.
Dehors, je vois son fils parler avec une infirmière. Je n'entends pas ce qui se dit mais le temps me semble beaucoup trop long. J'ai peur que madame N. parte maintenant sans avoir son fils à ses côtés. Elle ouvre à nouveau les yeux et tourne la tête vers la porte. J'ai besoin de la rassurer :

- Il va arriver ;

Après quelques minutes qui me paraissent interminables, il rentre à nouveau dans la chambre, accepte la chaise que je lui propose à côté de sa mère, et pose enfin son regard sur elle. Il lui sourit - je suis là -

Il avait besoin de ce temps d'atterrissage, d'ajustement, pour trouver sa place. Je regarde son corps se détendre, il est là, pleinement là, le regard fixé sur le visage de sa mère, prêt à l'accompagner. Elle a les yeux fermés, et respire doucement.
Je peux les laisser tous les deux pour vivre ces derniers moments. Je sais que dehors, les soignants veilleront sur eux et auront à cœur de l’entourer lui aussi.

Commentaires
S
Tellement difficile ce face à face... merci de nous avoir donné la clé.
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C
Que j'aime comment vous évoquez cette scène, sans jugement. Merci.
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M
Dépouillant, et... par là, superbe. Merci !
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M
Tellement touchant à chaque fois 😢
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