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Accompagner écouter soulager… et vivre!
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  • Bénévole d'accompagnement en soins palliatifs, je vous propose de partager quelques moments passés à la rencontre de l'autre, auprès des plus vulnérables. A la frontière de la mort mais pleinement dans la vie.
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17 avril 2023

Je peux faire ce que je veux !

Elle semble si fragile qu'on pourrait la faire tomber d'un souffle. Et pourtant ce n'est pas la malade. Madame J. est dans le service depuis quelques semaines pour accompagner son mari, un homme aux yeux fermés et la bouche entre-ouverte dont elle tient la main avec inquiétude. Les soignants m'ont proposé d'aller la voir, elle est angoissée et seule. En entrant dans la chambre, je remarque tout de suite ses yeux bleu lavande, vifs et tristes à la fois.

- Comme c’est gentil de venir me voir ! J’ai besoin de ne pas être seule ;

Elle me présente son mari, et en profite pour lui demander de fermer la bouche. Il s'exécute, docile et las, les yeux fermés. Il garde un maintien certain, bien droit dans son lit, la tête calée par un oreiller dont la taie vient de chez lui sans aucun doute. Un tissu presque amidonné, sans un pli.

Je prends une chaise et m’assois près de son épouse.

- Nous attendons ma fille.

Puis elle baisse la voix et rajoute

- Je pense qu’elle est arrivée mais elle ne doit pas pouvoir entrer. Je la connais, elle adore son père et depuis le début, elle n’accepte pas qu’il soit malade, alors aujourd’hui, vous pensez bien…

Elle me regarde en silence

- Avec moi ça a toujours été plus compliqué, et je ne sais pas comment faire pour l’aider. Et puis... je crois que j’aimerais bien qu’elle m’aide un peu moi aussi. C’est dur de porter seule.

Je l’écoute, en espérant que le temps de ma présence elle se sentira moins seule.
Le silence est interrompu par un « pop » annonciateur d’un nouveau message.
- Voilà, c’est ce que je pensais. Elle ne veut pas entrer. Mais je ne vais quand même pas laisser son père seul pour aller la chercher !

Madame J. repose son portable un peu vivement, s’agite et a du mal à cacher son énervement.

Je lui propose de chercher sa fille – vous ne la connaissez pas – ou de tenir compagnie à son mari pour qu’elle aille le retrouver. Cette option lui convient mieux.

Elle se lève et regarde son mari. Il dort, la bouche entre-ouverte. D’un geste précis et appuyé de la main, elle tente de la refermer – ça va impressionner notre fille – mais le sommeil est profond et ses efforts sont vains.
 Je la laisse partir et prends sa place près de son mari. Le calme est revenu dans la chambre et ces quelques minutes douces me font du bien.

La porte s'entre ouvre. L’épouse revient - elle arrive- puis une tête apparait dans l'embrasure de la porte. La fille reste à distance, jette un regard effrayé vers son père, se fige et recule.  Elle repousse la porte et disparait. Sa mère me regarde désarmée. J’aurais voulu qu'elle vienne près de lui, il l’attend depuis si longtemps ! mais elle me dit qu’elle ne peut pas.

J’essaye de trouver les mots, elle a peut-être besoin d’un peu de temps –

- Mais du temps il n’en a plus vous voyez bien ! il dort presque tout le temps maintenant. Et il n’est pas si impressionnant quand même, vous le trouvez impressionnant ?
Je suis embarrassée par la question – je ne suis pas sa fille – vous avez raison. Je vais aller lui parler.
Elle sort à nouveau, va voir sa fille, le temps me paraît long, puis revient

- elle ne veut pas ;

Je lis une telle tristesse dans le regard de la mère, j'ai presque envie de la serrer dans mes bras. Je lui tends une chaise, elle reprend sa place près de son mari et s'accroche à sa main.

- je vous remercie d’être resté près de lui.

Je les laisse et retrouve sa fille sur un banc. Elle est immobile, le regard froid et fixe le mur. Je me présente.

- Je sais qui vous êtes, ma mère me l'a dit. Mais ce n'est pas la peine d'essayer. Je ne veux pas entrer, je ne veux pas rester avec cette image de lui ; c'est égoïste, je sais. Mais c’est comme ça et je n’entrerai pas. Ma mère est habituée à le voir malade et elle fait ce qu’elle veut. Mais moi aussi je peux faire ce que je veux. Et ce que je veux c’est ne pas le voir dans son lit, en train de mourir. Je sais que je vous choque et que vous ne comprenez pas mais ça m’est complétement égal.

Cette phrase est dite avec agressivité mais je reste à distance. Intérieurement je suis contente d’être celle qui la reçois, à la place de sa mère, ou des soignants

- Je ne venais rien vous proposer. Et dans ces moments il n’y a rien qui me choque ; j’ai conscience que chacun fait comme il le peut. C'est déjà beaucoup d'être ici. Je suis sûre que pour votre mère c’est important de savoir que vous êtes là. Même sans entrer.

Le silence s’installe, pesant. Elle n’a pas fait un mouvement depuis que je suis auprès d’elle.

Je lui propose quelque chose à boire mais elle ne veut rien. Ni boire ni parler, ni entrer dans la chambre.

Elle ne veut pas que son père meure.

Je la laisse. Et laisse faire le temps. Parfois il sait être convaincant.

 

Commentaires
S
C'est vrai qu'on préfère ne garder en mémoire que les beaux moments, là où la personne aimée était si vivante.... Mais peut être que son père attendait la venue de sa fille pour pouvoir enfin partir ?
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